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accordait le suffrage à tout Roumain, même juif. Ceux qui ne savaient pas écrire étaient autorisés à faire inscrire leur nom par d’autres.

Le plébiscite fut voté par 682 621 voix contre 1 307 (27 mai 1864). La Porte et les puissances approuvèrent ces changemens et renoncèrent même pour l’avenir à toute immixtion dans les arrangemens intérieurs, pourvu qu’ils ne détruisissent pas les droits de la puissance suzeraine (28 juin 1864).

Affermi dans son pouvoir, Couza décrète l’émancipation rurale du paysan et le rend propriétaire ; il établit l’instruction gratuite à tous les degrés et obligatoire au degré primaire, introduit le Code civil Napoléon, promulgue un Code pénal et de commerce, adopte le système décimal. Ces réformes accroissent la rage des coalisés, car elles popularisent le prince ; ils resserrent leur trame, et afin d’écarter leurs dissentimens personnels, prennent l’engagement de choisir, après avoir rendu le trône vacant, un prince étranger appartenant à une des familles régnantes. Ils travaillent furieusement à préparer cette vacance. Brancovan et Bratiano, agissant à Paris sur deux mondes différens, commencent contre Couza une campagne analogue à celle des insurgés polonais contre Wielopolski. Tous ses actes sont calomniés, ses torts réels démesurément grossis, les réformes énormes qu’il accomplit considérées comme des leurres : la loi électorale est une mystification, le Code rural une jonglerie.

Nos journaux, entraînés par leurs fausses informations, représentent comme un lieutenant de Pétersbourg, comme un ennemi de notre influence, un prince tout dévoué à la France et à son Empereur, dont les soldats portaient notre uniforme, étaient instruits par nos officiers, et à qui ses sympathies françaises avaient valu, autant au moins que la sécularisation des couvens dédiés, l’hostilité de Gortchakof et surtout celle de son ambassadeur à Constantinople, le général Ignatieff. Napoléon III lui-même se laissa influencer et il ne consentit pas à envoyer le grand cordon de la Légion d’honneur que Couza désirait vivement comme témoignage de son union avec nous.

Ces machinations n’inquiétaient pas le prince : il comptait sur le paysan-propriétaire et sur l’armée, il se considérait comme inexpugnable. Déjà une émeute de la démagogie de Bucharest avait été sévèrement réprimée (3-15 août 1865). Les conjurés ne pouvaient rien sur le paysan, qui, d’ailleurs, là