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aussitôt déclaré : le prince de Samos, Jean Ghica, qui, en 1848, avait travaillé au renversement de Bibesco, en était le président, et Rosetti y représentait le parti révolutionnaire. Le même jour, les Chambres acclamaient à l’unanimité le comte de Flandre, frère du roi des Belges, sous le nom de Philippe Ier.

Ce coup de main rapide était le résultat d’une longue préparation. L’élection de Couza avait été un coup de théâtre de la dernière heure, improvisé par la foule afin de conjurer l’anarchie qu’allaient produire les compétitions inconciliables des membres des familles historiques. Ces candidats éliminés ne pardonnaient pas à l’inconnu qui, sans y avoir pensé, les avait supplantés. Il eût pu braver leur mauvais vouloir s’il s’était livré au parti de Bratiano et de Rosetti. Ceux-ci l’avaient espéré, et Rosetti s’écriait au lendemain de son avènement : « Le Prince est sublime en toutes choses ! » Il cessa de l’être en quoi que ce soit dès qu’il ne consentit pas à devenir leur serf et se confia à Barbe-Catargi. Quelques scélérats subalternes de leur bande assassinèrent cet orateur de premier ordre, éminent par la culture, le courage et l’honnêteté, comme à Rome d’autres révolutionnaires avaient assassiné Rossi (23 juin 1862). Alors Couza, ne pouvant se fier ni aux conservateurs, ni aux révolutionnaires, appela aux affaires Kogolnitcheno, libéral modéré et progressiste. Il le chargea de résoudre les trois questions qui agitaient la Roumanie depuis tant d’années : celle des couvens dédiés, de la propriété des paysans, de l’instruction publique.

Révolutionnaires et conservateurs se coalisèrent contre ce programme de progrès, que les uns ne consentaient pas à laisser au Prince l’honneur de réaliser, et dont les autres ne voulaient pas du tout. Entre les vainqueurs et les vaincus de 1848, entre ceux qui avaient renversé Bibesco et ne cessaient de le calomnier, et ceux qui le considéraient comme un bon prince injustement renversé se noua une coalition dont le but commun était une haine ambitieuse.

Couza, néanmoins, réussit à trancher l’interminable question des couvens dédiés.

L’Eglise grecque possédait le cinquième des terres les plus belles et les plus fertiles de la Roumanie, d’un revenu de 25 millions, représentant un capital de 600 millions. Elles avaient été attribuées à des couvens au nombre de soixante et douze, appelés Dédiés, parce que leurs fondateurs les avaient consacrés