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couché ainsi que dans les mouvemens rapides des tirailleurs, les cartouches se perdaient.

L’équipement du soldat continental a été fait en vue du combat debout ou à genou. Il ne répond plus aux nécessités actuelles du tir couché, des bonds à toute course d’un abri à l’autre, ou des marches rampantes.

Qu’on le veuille ou non, la guerre saura forcer les esthètes du costume militaire à renoncer à leurs fantaisies, et ce sera moins cher, tout en épargnant beaucoup de sang.

Se rapprocher de l’ennemi sans être vu est donc l’essentiel. Pour amener les hommes sur la ligne de feu, les officiers se servent de formations étroites, sinueuses et profondes. Souvent, ils font usage de la file indienne, parce que, disent-ils, l’homme suit plus facilement son chef de file qu’il ne se dirigerait lui-même.

L’invisibilité de l’ennemi est le facteur nouveau, dont l’instruction des combattans avait omis de s’occuper jusqu’alors. Aussi la difficulté d’utiliser son fusil a-t-elle dès le début déconcerté l’infanterie. L’instruction n’admet-elle pas, en effet, que la première condition pour atteindre le but est de le voir ?

Or, à partir de 1 000 mètres, les blessures provenant des coups de feu étaient fréquentes ; cependant on n’avait pas le plus faible indice pour découvrir d’où venaient les coups.

« L’observation des points de chute des balles, dit un témoin, qui aurait pu fournir quelque indication par la direction du sillon tracé sur le sol, ne servait à rien. Les coups se perdaient sur le sol herbeux du veld ou pénétraient dans la roche sans l’effriter. Le son ne renseignait pas mieux que la vue. La balle frappait l’air comme un coup de marteau, au lieu de produire un sifflement dont l’oreille aurait pu suivre le sillage. Lorsque le vent le portait au but, le bruit de la détonation ne dépassait pas 1 000 mètres ; enfin, si le vent était contraire, on cessait de le percevoir à moins de 200 mètres. »

Les règlemens anglais, ainsi d’ailleurs que les règlemens actuels des autres armées européennes, fondent sur l’observation de l’ennemi toutes les méthodes de combat et les règles d’emploi des feux. Que deviennent ces prescriptions devant un adversaire invisible ? L’ennemi est terré dans des tranchées à fleur de sol ou derrière des crêtes qui ne se profilent pas sur le ciel. Des points de chute de ses balles on ne voit rien.