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montée, ne manquaient cependant pas pour les poursuites ; mais le fusil de quelques Boers restés avec les wagons suffisait à tenir éloignée toute cavalerie, quelque brave qu’elle fût. Les poursuites ne se firent jamais qu’avec des obus et ne produisirent guère d’effet.

Cependant quel n’était pas le désordre ! Il existait non seulement dans les camps des combattans, mais jusque parmi le personnel gouvernemental. Le 2 juin 1900, une fraction du gouvernement des deux Républiques s’était transportée à Machadodorp. Elle comprenait le président Krüger, le secrétaire d’État, M. Reitz, le sous-secrétaire d’État chargé des Affaires étrangères, M. Grobler, le sous-secrétaire d’Etat des Finances et celui de la Justice. Vu la difficulté que trouvaient ces personnages à se loger dans les quelques masures qui constituent Machadodorp, ils étaient restés dans leurs wagons. Le président Krüger avait son wagon particulier, assez confortable, encadré entre un car servant de cuisine, un autre aménagé en bureau télégraphique, et un truc portant une voiture spéciale destinée au voyage par terre. Son médecin, qui était en même temps son secrétaire et conseiller intime, ainsi que le chef de la police, habitait avec lui. Le secrétaire d’État et M. Grobler occupaient chacun un wagon de 1re classe, qu’ils partageaient avec certains fonctionnaires. Les autres avaient fait transformer des fourgons mis sur trucs. A côté de ces voitures, se trouvaient des wagons fermés, contenant 8 millions de livres en or, dont la plus grande partie en lingots, des munitions d’artillerie et d’infanterie, une imprimerie, enfin les cars des policiers veillant à la sûreté du gouvernement et de ses provisions. Le tout, d’ailleurs, entremêlé sur les voies de garage de la station, où ministres, munitions, boites de conserves, or et dynamite, se trouvaient pêle-mêle. Dans ce gouvernement sur rail, raconte un témoin, régnaient des façons marquant les mœurs démocratiques et très égalitaires du pays, et l’on voyait, par exemple, le secrétaire d’État faire queue à la porte de la salle à manger de l’auberge, entre un télégraphiste et un Boer quelconque.

On conçoit que des officiers étrangers, assistant à ce désordre et jugeant les événemens à ce point de vue, aient été convaincus du faible degré de résistance des deux républiques. La partie essentielle, l’âme des Boers, mélange extraordinaire de grands sentimens, d’inconscience et de bravoure, de générosité et d'in-