Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/721

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ans. C’était après les élections de 1881 ; M. Jules Ferry était ministre ; il n’avait pas donné sa démission, mais il avait annoncé qu’il le ferait sûrement dès qu’il y aurait eu à la Chambre une discussion sur la Tunisie. Elle a eu lieu. Quand elle a été terminée, il a fallu voter quelque chose, et c’est alors que la difficulté est apparue. En fait, il n’y avait plus de gouvernement, quoique les ministres fussent encore sur leurs bancs. Pendant des heures interminables, on a présenté des ordres du jour, dont aucun n’a pu être voté : et cependant on en a vu se succéder une vingtaine ! La nuit est venue ; le désarroi était à son comble ; la lassitude, le découragement, le désespoir étaient partout. On se jetait les uns aux autres des regards éperdus. On sentait qu’on coulait, et dès le premier jour de la législature ! Ceux qui ont assisté à cette scène ne l’oublieront jamais. Il faut dire que la situation était faussée par l’importance exorbitante qu’avait prise, en dehors du pouvoir, la personne de M. Gambetta. Il avait usé beaucoup de ministères ; on voulait qu’il fût ministre à son tour ; et lui, sentant que l’heure favorable était passée, hésitait, reculait, refusait. Enfin, il se décida à reprendre un quelconque des ordres du jour qui avaient déjà été rejetés ; il monta à la tribune, et en donna lecture. Quel soupir de soulagement s’échappa de toutes les poitrines ! On avait enfin un gouvernement ; M. Gambetta se résignait à faire un ministère ; la Chambre était tirée d’embarras. Peut-être, cette fois, le mal ne serait-il pas, comme alors, poussé à son paroxysme ; mais on n’échapperait certainement pas à son atteinte. Livrée seule à une épreuve dont on ne se tire bien qu’à deux, la Chambre s’émietterait au lieu de se grouper. Il faut un ministère à une Chambre, un président à ce ministère, une politique représentée par des agens responsables, faute de quoi on n’a pas le gouvernement parlementaire, mais seulement sa triste parodie. Il importe donc que M. le Président de la République trouve, sans plus tarder, un président du Conseil.

On a dit que l’élection par la Chambre de son propre président pourrait l’y aider. C’est le premier jour de la législature que cette élection est faite. La Chambre procède tout de suite à la constitution d’un bureau provisoire, qui devient généralement définitif. Aussi s’est-on beaucoup agité depuis une semaine pour savoir quel serait le président élu le 1er juin. Les modérés ont un candidat tout trouvé, qui a fait ses preuves d’impartialité, qui a l’expérience de quatre années difficiles : c’est M. Paul Deschanel. Moins heureuses, les gauches radicale et socialiste ont été très longtemps avant de savoir quel serait le leur. Serait-ce M. Brisson ? Serait-ce M. Bourgeois ?