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— Oui, disent ces tièdes, la défense de la République a exigé de nous certaines concessions, certains sacrifices même ; mais, aujourd’hui que la République est sauvée, que l’épouvantail du nationalisme est dissipé, que les nuages noirs ont disparu de l’horizon, il n’est plus nécessaire de rester à l’état de belligérans : une politique de détente s’impose. — C’est contre ces dispositions que s’élèvent les radicaux et les socialistes : ils les dénoncent comme une défaillance, presque une trahison. Se défiant de leur éloquence et de leur autorité, ils comptaient sur celles de M. Waldeck-Rousseau pour en faire justice, et ils lui demandaient un dernier effort, qui ne l’aurait pas, disaient-ils, fatigué beaucoup.

Il a refusé de le faire. Pourquoi ? Pour les raisons que nous avons déjà dites, et sans doute aussi pour une autre qu’il ne donnera pas, car il dispose de deux forces presque égales : la séduction de sa parole et la gravité de son silence. Il sait aussi bien se taire que parler, et évidemment il aime mieux se taire aujourd’hui. Au risque de scandaliser quelques-uns de ses amis, nous ne sommes pas sûrs que M. Waldeck-Rousseau soit partisan de la continuation de la politique qu’il a suivie jusqu’à ce jour. Il a répété à maintes reprises que c’était une politique de circonstance. Quelles seront les circonstances futures ? Comme personne ne le sait, le plus sage est de se réserver. M. Waldeck-Rousseau se réserve. On l’a vu, — les radicaux et les socialistes s’en sont voilé la face d’horreur, et leur gémissement, mêlé d’imprécations, n’est pas encore apaisé — on l’a vu assister de sa personne, à Notre-Dame, au service funèbre pour les infortunées victimes de la Martinique : il s’était même fait escorter du général André, de M. de Lanessan et de la plupart de ses collègues. Les radicaux et les socialistes n’en sont pas revenus ; ils se demandent encore ce que cela veut dire. Cela veut dire peut-être que M. Waldeck-Rousseau n’est pas tout à fait un fanatique de leur espèce, et qu’il n’est pas fâché de reprendre sa liberté. Attendre de lui qu’il engage la Chambre un peu plus avant dans les voies du radicalisme et du socialisme ; qu’il prenne dès maintenant la responsabilité de ce qui pourra en arriver ; que, renonçant à diriger les événemens, il établisse néanmoins une solidarité originelle entre lui et ses successeurs inconnus, en vérité, c’est pousser un peu plus loin qu’il ne le mérite la confiance naïve qu’on a en mil A lire ses journaux, il ne veut pas avoir l’air de dicter une politique au ministère de demain, ni prendre envers lui l’attitude d’un protecteur. Ces sentimens sont honorables : mais sont-ce bien les seuls qu’il éprouve ? Quelque chose nous dit qu’il ne s’en irait