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alors terriblement à craindre. M. Waldeck-Rousseau, n’étant pas absolument obligé de les affronter, a préféré s’en dispenser. Il s’en va aujourd’hui avec les honneurs de la guerre : en aurait-il été de même dans six mois ? Les prophètes seuls pourraient le dire, si on les croyait encore. Sa victoire électorale n’est pas de celles qui assurent une longue vie, mais elle permet un bon départ.

Les radicaux et les socialistes semblent avoir été pris au dépourvu par la démission du cabinet. Ils ont éprouvé une déception, et ne l’ont pas caché. Ils n’exigeaient pas précisément de M. Waldeck-Rousseau qu’il restât au pouvoir, mais ils comptaient sur lui pour grouper, avant de partir, la majorité de la nouvelle Chambre, lui donner une orientation politique, l’engager à la suite d’un ordre du jour dont ils auraient soigneusement pesé les termes : après quoi, s’il avait décidément voulu se retirer, on ne l’aurait pas retenu. Sachons gré à M. Waldeck-Rousseau de ne s’être pas prêté à une mise en scène qui aurait faussé encore un peu plus une situation déjà assez confuse. Tout homme qui forme une majorité autour de lui apporte dans cette œuvre un coefficient personnel dont l’importance est quelquefois considérable : elle l’aurait été avec M. Waldeck-Rousseau. Nous ne parlons pas seulement de sa valeur propre, que nous n’avons jamais contestée ; mais les circonstances ont encore, au moins provisoirement, grossi son autorité, et bon nombre de députés se seraient crus obligés d’acquitter entre ses mains leurs dettes électorales, sauf à reprendre ensuite leur indépendance. S’il avait annoncé l’intention de disparaître après le premier vote, quel que fût d’ailleurs ce vote, sa majorité aurait encore augmenté, car beaucoup auraient pensé qu’ils ne risquaient rien à voter pour un ministre en partance : ils lui auraient volontiers servi le coup de l’étrier. Quel aurait été le résultat ? On aurait eu une majorité artificielle et fictive, destinée à s’effriter le lendemain, mais qui, le premier jour, aurait pu faire illusion sur les sentimens de la Chambre, et aurait permis aux radicaux et aux socialistes de crier bien haut qu’ils étaient les maîtres de la situation. Et que veulent-ils ? La continuation, ou plutôt l’accentuation énergique de la politique de ces trois dernières années.

M. le Président de la République, à Brest à son départ, et à Dunkerque à son retour, a parlé d’apaisement. Ce mot a sonné très mal à l’oreille des radicaux et des socialistes. Ils protestent contre l’apaisement ; ils demandent la lutte à outrance, sans trêve ni merci. Ils sentent bien que, parmi ceux qui ont soutenu le ministère Waldeck-Rousseau jusqu’aux élections, la fatigue commence à se manifester.