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dans les services rendus à la République et à la France. On a trouvé généralement que M. Loubet s’était montré trop oublieux du passé et trop satisfait du présent, et on s’est demandé ce qu’il fallait en conclure. Était-ce un nouveau bail ministériel que M. le Président de la République inaugurait avec M. le président du Conseil ? Était-ce un salut plus que courtois qu’il lui adressait au moment de se séparer de lui, et fallait-il voir dans ses hyperboles quelque chose d’une oraison funèbre ? À cette question, nul ne pouvait répondre ; M. Loubet était parti avec son secret ; il nous avait laissé l’anxiété. M. Waldeck-Rousseau a bien voulu nous en tirer. Les uns assuraient qu’il était résolu à se retirer ; les autres, que, sa présence au gouvernement étant plus indispensable que jamais, il se sacrifierait une fois de plus au salut de la République. Nous penchions vers la première hypothèse, trouvant d’ailleurs naturel, et même très convenable, que M. Waldeck-Rousseau n’eût pas annoncé sa retraite avant le retour de M. Loubet : car enfin, pensions-nous dans notre simplicité, quelle serait en Russie la situation de M. le Président de la République, et surtout de M. le ministre des Affaires étrangères qui l’accompagnait, s’il était de notoriété publique et officielle que le premier n’avait plus de ministère et le second plus de portefeuille ? Il paraît que nous nous trompions. En tout cas, M. Waldeck-Rousseau ne s’est pas embarrassé de si peu de chose ; il a précisément choisi le jour où MM. Loubet et Delcassé arriveraient à Cronstadt pour annoncer qu’il était virtuellement démissionnaire, et qu’il ne se présenterait pas devant la Chambre nouvelle.

On comprend qu’il se retire. Il a duré trois ans ; il a fait des élections qui ne sont pas pour lui un triomphe, quoi qu’on en dise, mais qui ne sont pas un échec ; les circonstances lui offrent une porte de sortie honorable. Il pouvait rester, s’il l’avait voulu ; la Chambre lui aurait donné une majorité. Quant à savoir si cette majorité aurait été solide et durable, c’est autre chose. Les commencemens de législature sont toujours troublés, agités, orageux : les ministères les plus éprouvés y trouvent des récifs où ils viennent se briser. Rien de plus différent que le lendemain et la veille d’une élection. La veille, une Chambre inquiète pour elle-même hésite beaucoup à renverser le ministère qu’elle a : elle aime mieux passer avec lui un contrat d’assurance mutuelle. Mais, le lendemain, son humeur est changée. Il y a dans la Chambre actuelle beaucoup de nouveaux députés, qui arrivent tout pleins de leurs programmes et encore plus de leurs illusions. Ils sont impatiens et exigeans. Les surprises et les coups de vent sont