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l’humanité, même polythéiste ou fétichiste, — toute religion est d’abord une « théologie, » je veux dire une affirmation du Dieu vivant et de la nature des rapports que nous entretenons avec lui. Comte l’a bien senti lui-même, et sans doute ce n’est pas pour une autre raison qu’à cette humanité collective, dont il a fait l’objet du culte positiviste, il a imposé ce nom de « Grand Etre » qui lui a permis, aussi souvent qu’il en parlait, de lui prêter les attributs d’une personne réelle. Mais, si la religion du « Grand Etre » n’est pas une « théologie, » du moins est-elle une « sociologie ; » et cela est considérable ! Ils sont nombreux aujourd’hui, ceux qui vont répétant que la religion est « affaire individuelle, » et, s’ils entendent par là qu’aucune autorité de ce monde n’a sur nos croyances de droit de contrainte ou de coercition, ils ont raison. L’ont-ils encore, s’ils veulent dire que nos croyances ne regardent que nous ? Au moins n’est-ce pas l’avis de ceux qui en éprouvent l’intolérance, quand elles se font persécutrices : on pourrait prouver que les croyances de nos francs-maçons intéressent au premier chef tous ceux qui ne les partagent pas. Mais si l’on veut dire que l’accomplissement de l’obligation religieuse ne s’étend pas au-delà de la pratique des vertus personnelles, on ne saurait se tromper davantage sur le propre de toute religion, et c’est, ce que Comte a très clairement vu.

Il l’a même si bien vu que c’est ce qu’il reproche au catholicisme. « En célébrant dignement les mérites et les bienfaits du catholicisme, dit-il, l’ensemble du culte positiviste fera nettement apprécier combien l’unité fondée sur l’amour de l’humanité surpasse, à tous égards, celle que comportait l’amour de Dieu. » Et plus loin : « Le principe catholique, ne s’adapta jamais à la direction sociale que tenta de lui imprimer l’admirable persévérance du sacerdoce. » Sur quoi, peut-être, il eût pu réfléchir que le vrai principe du catholicisme, c’est précisément celui que « l’admirable persévérance du sacerdoce » a tenté d’imposer à « la direction sociale, » et que, contre un principe, on ne prouve rien en constatant qu’il n’a pas encore produit toutes ses conséquences. Les principes sont hors du temps, mais ils ne se réalisent pourtant que dans le temps, et par le moyen de la durée… Mais, oserai-je dire, en attendant, que si quelques catholiques, et notamment quelques démocrates chrétiens, veulent bien chercher dans le Système de Politique positive une démonstration de la religion comme sociologie, ils l’y trouveront ? Et