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relative, sous l’ascendant universel de l’esprit sociologique, c’est la tendance, aujourd’hui si commune, surtout chez les hommes éclairés, à une absurde exagération de la supériorité propre à la raison moderne, en interprétant la plupart des opinions antérieures de l’humanité comme l’indice d’une sorte d’étal chronique d’aliénation mentale qui aurait persisté jusqu’à ces derniers siècles… La saine philosophie, restituant enfin à notre intelligence ce mouvement normal, sans lequel, à aucun égard, on ne saurait concevoir la vie, explique donc le cours général des opinions humaines pendant les diverses phases qui devaient préparer notre virilité mentale, d’après le principe nécessaire d’une harmonie croissante, entre les conceptions et les observations qui nous ont fait journellement sentir la réalité progressive de nos différentes notions positives depuis que la recherche des lois commence à prévaloir sur celle des causes. C’est ainsi que l’esprit sociologique pouvait seul constituer une philosophie éminemment relative en rendant toujours prépondérante la considération universelle d’une évolution fondamentale, assujettie à une marche déterminée, et dominant, à chaque époque, l’ensemble de nos pensées quelconques. »

On a reconnu le principe même de l’évolution, sept ou huit ans avant que l’eût énoncé M. Herbert Spencer, et quinze ans avant que Charles Darwin, en y mêlant la question de l’origine ou de la transformation des espèces, l’eût rendu plus accessible, d’une part, à l’imagination populaire, mais, d’une autre part, plus contestable, en le faisant dépendre d’une démonstration que la science naturelle n’a pas encore fournie. J’ai fait ailleurs observer que, vers le même temps qu’Auguste Comte, — 1813-1845, — celui qui devait être un jour le cardinal Newman faisait du même principe, dans son Essai sur le développement de la doctrine chrétienne, une des plus belles applications que l’on connaisse. Dans l’un et dans l’autre cas, c’était le concept même de science qui se modifiait. Immutabilité du dogme, ou, comme disait Comte, « immuabilité » des lois de la nature, on s’apercevait que, s’il y a malheureusement une manière étroite, il y a pourtant aussi une manière large de se les représenter, et, — la phrase est de Comte, — « que le spectacle des grandes variations dogmatiques, si dangereux à contempler pour tant d’intelligences mal affermies », si ; convertit de ce point de vue, c’est-à-dire du point de vue de l’évolution, « en une source directe et continue