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plaisent tant à embrasser une grande quantité de plis qui embarrassent leur figure, sans penser à l’usage pour lequel ces étoffes furent faites, qui est d’habiller et de couvrir avec grâce les parties du corps sur lesquelles elles sont. »

La seconde raison, c’est que ce succès peut tenir à un de ces engouemens passagers qu’on appelle « modes » et dont le caractère est d’être éphémère aussi bien qu’impératif. Si, dans une œuvre destinée à durer, on fixe ce qu’il y a de plus adéquat au goût d’un jour, on risque fort d’y fixer, par là même, ce qui résistera le moins aux jugemens successifs et, en définitive, à la moyenne concordante du goût. Sans doute, au regard de la curiosité, les outrances de la mode sont précieuses à recueillir. Même surannées, surtout surannées, elles fournissent un document ironique et touchant sur ce qu’aima l’âme légère attachée à ces fanfreluches, plusieurs siècles encore après qu’elles ont péri. Mais ce sont là des divertissemens de chartiste. Il faut être un savant pour les ressentir. Au contraire, l’émotion esthétique sera toujours amortie, si, dans le moment précis où la figure nous semble respirer et vivre, voici qu’une mode extravagante trouble l’harmonie de l’ensemble, nous rappelle qu’à telle date précise tout ce que nous voyons là de gracieux a été ridiculisé par la « mode, » et de vivant a été glacé par la mort.

Ce n’est pas assez que de choisir son peintre et de ne pas choisir sa toilette : il faut encore laisser travailler un grand collaborateur sous lequel on ne réalise pas de beauté : le Temps. Quelle que soit l’adresse que la science ait mise et le succès qu’elle ait obtenu en le proscrivant de toutes les entreprises contemporaines, dès qu’on touche à l’art les longues préparations sont nécessaires et cela aussi bien de nos jours qu’aux jours où le Vinci mettait quatre années à peindre le portrait de la Joconde. L’expression individuelle, le geste particulier que peut donner une figure et qu’elle peut donner seule ne se découvre quelquefois qu’après un long examen.

Pour cela l’artiste, si grand soit-il, doit étudier longuement son modèle et le voir vivre, au milieu d’autres figures, causer, passer par les fugitives expressions dont la même physionomie est capable, jusqu’à ce qu’apparaisse l’expression qui la révèle dans toute son individualité. Combien parfois cette individualité est pâle et faible, il n’importe ! Plus le rayon sera pâle et rare, plus devra être puissant le microscope de l’artiste pour le