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reconnaissent, et les réalistes d’y ajouter assez de beauté pour que ces modèles s’y reconnaissent aussi. — De même les clair-obscuristes sont-ils bien obligés d’éclairer largement leur figure « dans la lumière universelle » selon la recommandation de Léonard de Vinci, pour la faire voir dans sa totalité, et, d’autre part les pleinairistes ont-ils dû renoncer à la prétention qu’ils avaient un moment affichée de barbouiller un visage avec tous les reflets colorés des feuilles, des eaux, des ombrelles rouges ou des chapeaux de paille dorée qu’ils y avaient introduits. Les quelques tentatives de ce genre, si intéressantes qu’elles fussent et si instructives pour l’art, ont été promptement abandonnées dans le genre particulier du portrait et, de fait, chez tous ceux que le Salon de 1902 nous met sous les yeux, nous n’en trouvons pas une seule application.

Une autre raison nous garde aussi de ce genre d’excentricités. C’est dans le portrait que le peintre dépend le plus du goût du public. Le même amateur qui, à la longue, se laisse persuader qu’il aperçoit une « angoisse d’humanité » dans un plâtre bossue ou qu’il démêle une « décortication de nature » dans le spectre d’une vieille palette, se refuse énergiquement à soumettre ses propres traits aux transcendantales opérations d’où ces merveilles sont sorties.

D’ailleurs, les confrères veillent. Il est incroyable comme le sens critique des artistes est mieux aiguisé quand il s’agit de portrait que sur tout autre objet. Un amateur peut impunément brosser, pendant trente ans, des plafonds chaotiques ou des panneaux incompréhensibles. Il peut s’y permettre des entorses de dessin, des hérésies de perspective, des mensonges de couleur tels qu’un seul ferait fermer à tout débutant tes portes de l’école de Home : ses confrères sont pleins d’indulgence ou débordent d’admiration. Ils louent son sentiment de la décoration, sa-sincérité, son désintéressement, son indépendance des règles communes de l’art. Mais qu’il ne s’avise pas de faire des portraits ! Aussitôt les yeux de ses confrères se dessillent et deviennent singulièrement pénétrans. S’il choisit une gamme chaude, on l’accuse de tomber dans le « jus, » et s’il en choisit une claire, dans le « plâtre ; » s’il accorde quelque attention et obtient quelque réussite à la trame des toilettes et à l’essor des chapeaux, on le délègue aux gravures de mode, et s’il n’en accorde pas, on le renvoie chez les Quakers. En sorte que pour rester en