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par M. Pharaon de Winter. Peut-on dire que ce soient des portraits ? Ce qu’il y a de plus frappant dans ces physionomies ou dans ces attitudes, c’est ce que, dans toute autre physionomie de religieuse, à un degré quelconque, nous retrouverions. Le calme, la confiance, la certitude, le pli de l’obéissance passive et du labeur monotone, sont tellement écrits sur ces figures, par des conditions de vie, une discipline, un horizon de pensées tellement impératives qu’ils masquent presque entièrement les nuances individuelles qui constituent une physionomie. Sans doute, des particularités physiques ou des accidens qui sont dans chaque figure de religieux, l’artiste pourra faire une image particulière et reconnaissable, mais de son âme individuelle il ne donnera aucune idée : c’est l’âme collective de la compagnie qu’il peindra ; ce sera un type, et plus il aura du talent, plus ce type sera général, représentatif d’une foule d’hommes ou de femmes vivant de la même vie, plus ce sera une page d’histoire plus peut-être cela se rapprochera d’un chef-d’œuvre et moins ce sera un portrait.

On voit dans quelles étroites limites est contenue l’innovation de l’artiste. Elle se borne à quelque rythme nouveau dans les tours, les atours et le jour, c’est-à-dire dans l’éclairage de la figure, le choix du fond, dans la gamme colorée et dans la facture ; en un mot, dans les qualités les plus spécifiques de l’art de peindre. C’est ce qui fait que tous les novateurs qui n’ont pas une véritable originalité technique et qui n’apportent dans l’art de leur temps que des innovations d’ordre philosophique n’abordent pas ou délaissent rapidement le portrait. C’est ce qui fait aussi qu’il est considéré par les peintres comme la pierre de touche du talent. La précision du dessin, la justesse du modelé, le naturel de la couleur ne peuvent être remplacés ni esquivés par aucun des stratagèmes habituels du symbolisme ou de l’impressionnisme. Il faut, de toute nécessité, et quels que soient les principes d’où, il est parti, que le peintre aboutisse à nous mettre en présence d’un être humain vivant, individualisé, reconnaissable et plutôt embelli.

Or, si les théories diffèrent beaucoup, dans leur principe, on s’aperçoit, dans la pratique, qu’elles se rencontrent sensiblement autour du même point. C’est ainsi, par exemple, que les idéalistes sont bien obligés de laisser assez d’accidens ou de déchéances aux figures de leurs modèles pour que leurs amis les