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si l’on veut, la conséquence obligée de ce double souci : montrer une femme qui cueille une rose, qui rafraîchit sa main à une vasque, qui se pose une mouche ou qui joue du violoncelle et, cependant, ne pas la montrer si appliquée à ces besognes que le tableau ne devînt une scène de genre au lieu de rester un portrait.

L’originalité ainsi proscrite du geste va-t-elle se retrouver dans l’expression ? Bien moins encore, et c’est là surtout que toute insistance devient un défaut. Les têtes en grisaille de M. Carrière sont de fort belles têtes d’expression : ce ne sont plus des portraits. À ce degré d’intensité, ce n’est plus telle personne que l’artiste nous représente, c’est telle passion sous les traits de cette personne, telle douleur, telle émotion ou telle fatalité. Toute femme peut à un moment de sa vie présenter l’expression d’une Hécube ou d’une Mater dolorosa, mais si c’est le moment que choisit ou si c’est l’expression qu’imagine son peintre, c’est de ces deux figures historiques qu’il aura fait un tableau et non plus de la femme qui pose devant lui. Sans même pousser l’exemple à l’extrême, toute expression fugitive qui dérange l’économie habituelle des traits du visage et lui ajoute, à quelque degré, de l’intérêt dramatique lui retranche en même temps quelque chose de son caractère de portrait. En nous révélant mieux, peut-être, une des modalités de la figure, il nous empêche d’apercevoir les autres en puissance. Tout ce qui se reflète dans un lac disparaît dès qu’un sou flic le ride. Un vrai portrait est comme un lac où ne passe aucun souffle, où tout, par conséquent, se reflète. C’est un corps au repos et c’est une âme au repos. Il faut qu’on s’intéresse à l’être même plutôt qu’à ce qui lui arrive, et pour cela il faut qu’il ne lui arrive rien.

Enfin, ce n’est pas seulement l’expression violente du visage qui peut lui ôter son caractère de portrait, c’est, jusque dans les expressions les plus calmes, tout ce qui fait disparaître, sous un masque générique, son trait individuel : par exemple, le port de tête et l’expression prescrites par saint Ignace de Loyola à ses disciples. Car ce n’est plus alors l’expression d’un individu qui se reflète sur le visage : c’est la physionomie d’une compagnie, d’une société, de tout un genre facile à reconnaître dans chacun des individus qui le composent.

Il y a, au Salon de 1902, plusieurs portraits de religieuses, l’une vue de profil, par Mlle Smith, l’autre de face, une Béguine,