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légalement ne doivent être à personne, possédés par cet être invisible : la Nation, par ce mythe : M. Tout-le-monde, où des coalitions de volontés et d’autorités diverses sont requises pour ôter un clou ou allonger une ficelle, où chaque objet est tabou, qui ne connaissent plus rien de la vie, à peine parfois le torrent rapide des touristes « circulaires » vêtus et bottés comme pour traverser un marécage, ou bien la silencieuse silhouette d’un historien-poète ou d’un peintre familier dont les glaces se chuchotent chaque geste, l’une à l’autre, dans le balbutiement de leurs reflets.

Cette réaction contre les scènes dramatiques, les faits divers ou les pompes de la vie publique est peut-être exagérée, mais elle est suggestive. Les intimistes se privent de beaucoup d’élémens d’Art en se renfermant dans des intérieurs qu’aucune figure n’anime, mais ils ont raison de chercher l’intérêt de la vie dans ces manifestations les plus calmes et les plus sobres parce que ce sont les plus profondes. Nous ferons comme ces peintres. Nous laisserons les présidens d’hier, d’aujourd’hui ou de demain, fêter Pasteur ou apporter aux vingt mille maires la personnification concrète et polycéphale de ce qu’on est convenu d’appeler un « gouvernement. » Nous nous arrêterons seulement devant quelques beaux portraits de femmes.

Car le portrait de femme est, cette année, le seul genre qui offre un assez grand nombre de belles manifestations pour être étudié en tant que genre. Tous les maîtres l’ont abordé. Ceux qu’un demi-siècle de succès a consacrés, — depuis M. Hébert, M. Henner et M. Bonnat, jusqu’aux jeunes de talent, M. Caro-Delvaille dans sa Dame à l’hortensia et M. Simon dans ses sœurs quêteuses, et les maîtres en plein zénith de leur talent. M. Dagnan avec le portrait de Mme Camille B… M. Chartran avec celui de Mme Roosevelt et de Mme Roosevelt, M. John Sargent avec les Deux Soeurs, M. Morot, M. Humbert, M. Lavery, M. Flameng, M. La Gandara et M. Raffaelli ; enfin, dans la sculpture, M. Verlet, avec son buste de Mme Dagnan-Bouveret et M. Sicard, avec son Portrait de Mme G… ont groupé un ensemble de figures contemporaines où toutes les difficultés de l’art du portrait féminin ont été abordées, quelques-unes résolues. L’occasion est précieuse pour noter ces difficultés, en définissant ce qu’est au juste un « Portrait de femme » et pour se demander comment aussi les modèles et le goût public pourraient aider l’artiste à en triompher.