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LES ORIGINES DE L’ODYSSÉE.

et un jardin plein de verdures ; ce jardin n’est éloigné de la ville que d’une portée de voix. » Au fond de la crique septentrionale, la route franchit le ravin d’un petit ruisseau, dont les vives verdures éclatent parmi le feuillage plus terne de l’olivette. Des paysans descendus de Lakonais bêchent en recoin leurs champs de fèves. Comme nous leur demandons si quelque source jaillit dans le voisinage, ils nous déclarent que, toute l’année, ce ruisseau fournit de l’eau courante grâce à une belle source toute voisine. Un peu au-dessus de la route, dans un vallon qu’ombragent les oliviers, une source abondante jaillit. C’est, dans tout ce fond de la baie de Liapadais, disent les paysans, la seule autre fontaine qui fournisse toujours de l’eau. Jamais elle ne tarit. Les cultures maraîchères ont pu s’installer au long de son ruisseau. Les pentes mêmes de son vallon en terrasses, qui finit brusquement contre la falaise de l’Arakli, ne sont vêtues que d’une terre rouge et caillouteuse et ne portent que des oliviers et des cyprès. Mais ici, dans le fond, des murs de pierres sèches ou des enclos d’épines défendent contre les chèvres les carrés de légumes ; dans ce ravin, jusqu’à la mer, de petits canaux irriguent les rives et ont fait croître des saules, quelques peupliers, des amandiers, des figuiers avec un coin de vigne.

Voici la prairie, le bois sacré d’Athèna et l’autre jardin d’Alkinoos : tous les détails du texte odysséen s’y peuvent appliquer. En droite ligne, de la ville des Phéaciens à ce fond de Port Alipa, la distance est de 300 à 350 mètres. La voix porte sans peine jusqu’ici et nos paysans interpellent les matelots du caïque mouillé sous le cap. D’ici la haute ville et le palais s’offraient aux regards d’Ulysse : entre les branches de l’olivette, la haute montagne se profile sur le ciel doré du couchant et, de l’esplanade du sommet, se détachent nettement découpées les ruines de Saint-Georges. Ainsi devait apparaître le palais d’Alkinoos « si facile à reconnaître qu’un enfant même t’y conduirait, car il se distingue de toutes les autres maisons des Phéaciens. » Mais pour les gens de la ville, les branches de l’olivette et les peupliers devaient masquer un peu la vue du jardin et de la route. Nausikaa veut que l’étranger s’arrête ici ; sans lui, elle rentrera dans la ville. Par crainte des mauvaises langues, elle ne veut pas être vue dans la compagnie d’un inconnu. C’est bien ici qu’Ulysse s’est arrêté pendant que Nausikaa et ses femmes le précédaient à la ville. Nous avons donc les deux dernières étapes de la route odysséenne, la fontaine du faubourg et le jardin du roi. Reste le fleuve.

Au dernier fond de la baie de Liapadais, dans l’anse d’Iophilia, les cartes indiquent une rivière qui descend de l’Arakli. La route traverse en effet un haut pont de pierre. Mais il n’y a pas d’eau dessous. Nous descendons la rivière cependant jusqu’à la mer. Entre deux pentes d’olivettes, c’est bien un fleuve grec, c’est-à-dire un lit de cailloux roulés avec quelques trous d’eau boueuse. Mais ceci ne peut être le fleuve odysséen et « ses bouches d’eau courante, » le fleuve « aux lavoirs constans, aux eaux abondantes, » que refoule le flot de la vague. Nous remontons au pont de la route où notre voiture nous attendait. Assurément ce torrent desséché n’est pas le fleuve de Nausikaa. Mais où donc retrouver ce fleuve ?

Nous voici revenus au défilé de roches qui mène du pays des Phéaciens à l’intérieur de l’île de Corfou. Nous franchissons de nouveau la margelle