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mode homérique. De chaque côté de la ville, les « deux beaux ports » à l’étroit goulet et aux nombreuses remises viennent finir, au pied des monts, en plages sablonneuses. Port Alipa surtout semble dessiné d’après le texte odysséen. Son goulet n’a que 300 mètres de large et les navires doivent prendre garde aux roches acérées qui l’étranglent. Mais derrière cette entrée, une triple rade se creuse, avec ses trois bras disposés en feuilles de trèfle. Des jetées de roches la divisent en de multiples compartimens, que terminent des pentes de sables. Chaque vaisseau peut avoir sa remise sèche ou sa cale mouillée. La nature a fait ici le travail de compartimens que l’homme fait ailleurs, — par exemple dans le port athénien de Munychie, — pour dresser des boxes dans les écuries de ses coursiers de la mer. Au pied de la ville haute, sur l’isthme entre les deux ports, une plaine s’étend pour recevoir l’agora dallée. Si la réalité correspond vraiment à cette carte de nos marins ; nous avons ici la ville et les beaux ports d’Alkinoos… Mais il ne faut pas s’en rapporter aux vues des cartes.


Avril-mai 1901[1]. — La promenade vers Palaio-Castrizza est une excursion de touristes que tous les guides recommandent. Depuis la ville de Corfou, il faut trois ou quatre heures en voiture, et la route, construite au temps de l’occupation anglaise, est charmante. C’est d’abord au long du détroit, dans la plaine verte ou sur les collines chargées d’olivettes, la grand’route hordière de la mer, qui, par le col de Panteleimon, franchit la muraille du Pantokrator et traverse toute l’île, du Sud au Nord. Mais bientôt, quittant cette route qui poursuit vers le Nord, nous tournons à l’Ouest et, de loin, nous longeons sur la droite l’âpre muraille du Pantokrator. Un charmant pays vallonné en borde le pied. De ses vieilles olivettes, de ses plainettes closes, de ses petits lacs dormans, de ses marais verdoyans, de ses grasses terres de labour, cette plaine ondulée remplit tout le centre de l’île, entre la muraille du Pantokrator et la chaîne côtière, la « sierra » de l’Occident. La route est une allée de parc anglais. Sans jamais forcer le passage par des tranchées ou des remblais, elle contourne doucement les collines et les vallons creux. Elle court sous les vieilles olivettes qui dressent très haut leurs panaches d’argent. Elle se mire au pourtour des lacs dont le miroir terni, voilé d’écumes et de longues herbes, s’efface au fond de leurs cadres de cyprès. La haute barrière du Pantokrator avec ses roches surplombantes et ses villages suspendus ferme l’horizon de droite. À gauche et devant nous, la sierra hordière de la côte occidentale ; longue muraille moins haute, mais presque aussi ardue, se dresse à pic sur la vallée marécageuse de Ropa et nous cache la Mer Sauvage. Perpendiculaire à l’axe du

  1. Notes de voyage.