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à pic le flot hurlant. Par tous les temps, au pied de cette muraille, la lame se brise sur la ceinture d’écueils pointus. L’Odyssée nous dit que les Phéaciens habitent « sur la Mer Sauvage, »


οἰϰέομεν δ' ἀπάνευθεν πολυϰλύστῳ ἐνὶ πόντῳ.


La Mer Sauvage de Corfou présente en effet toutes les vues de côtes décrites par le poète. C’est à cette côte occidentale qu’Ulysse a d’abord atterri : de la haute mer il en aperçut « les montagnes ombreuses. » Les Instructions nautiques nous disent : « Les bâtimens qui se rendent de la Méditerranée dans l’Adriatique cherchent toujours à reconnaître l’île de Corfou, que l’on aperçoit de loin à cause de son élévation. Si l’on vient de l’Ouest (et c’est des mers occidentales qu’Ulysse revient), les hautes montagnes sont visibles du large à une grande distance et il n’y a pas de position d’où, par le beau temps, on ne puisse voir la terre à plus de cinquante milles de la côte. L’aspect de la contrée, vue de la mer Ionienne par un temps clair, est très imposant. Les montagnes, d’une variété de formes infinie, avec de beaux versans et des contours nettement dessinés, changent constamment d’aspect selon la position du navigateur. »

Vue de l’Ouest, toute la façade de Corfou sur la Mer Sauvage n’est qu’une muraille escarpée. Le contraste est frappant avec la façade du détroit. Dans l’extrême Sud seulement, cette côte de la grande mer présente encore les pentes caillouteuses, les talus de roches ou de broussailles et les anses de sables ou de graviers que nous avons décrits sur l’autre façade. Mais, à la pointe Kardiki, disent les Instructions, tout change : « La côte est la base des montagnes Paviliana et Garuna, hautes de 426 et de 466 mètres et voisines du rivage, et, après les îlots Lagudia, la côte, formant une courbe convexe, devient extrêmement dangereuse ; elle est garnie tout du long par des roches et des pâtés de roches. » Du cap Kardiki jusqu’à l’extrémité Nord de cette côte occidentale, la même vue de côtes rocheuses, accores et déchiquetées va se poursuivre. Au-devant de cette muraille, la mer brise en hurlant sur des lignes de roches et couvre de son écume quelques îlots. De loin »-en loin, dans les falaises de la muraille, s’ouvrent quelques petites plages de sables sous les collines-couvertes de forêts, et trois petites baies s’offrent au débarquement : au Sud, la baie d’Ermonais : au centre, sous le château Saint-Ange, la baie de Liapadais ; au Nord, sous le cap