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les deux ports, à côté des cales qui reçoivent les navires, une place publique, pavée de grandes dalles, entoure un temple de Poséidon.

Depuis longtemps, au long des côtes corfiotes, les archéologues et les explorateurs ont cherché ce double port des Phéaciens. Trois ou quatre sites, dit-on, correspondent à la description homérique. Sur le détroit qui sépare notre île de la côte albanaise, deux ports ont toujours été fréquentés des navigateurs, le port même de Corfou et le mouillage de Cassopo : tous deux ont une double baie. Sur la côte de la mer occidentale, deux autres refuges, Aphiona et Palaio-Castrizza, présentent aux flancs de leurs presqu’îles rocheuses, chacun une paire de mouillages accomplis. Voilà donc quatre emplacemens possibles pour notre ville d’Alkinoos. Lequel prendre ? la difficulté du choix est peut-être moins grande en réalité qu’elle ne paraît. Entendons-nous bien d’abord sur la valeur de certains mots.

Nous donnons aujourd’hui le nom de port, de refuge, de mouillage, etc., à des stations de nos flottes, qui ne conviennent en aucune façon aux flottes primitives et qui ne peuvent pas avoir été vraiment des ports homériques. Un port homérique n’est pas une grande rade enfoncée dans les terres : il faudrait à l’entrée et à la sortie un trop dur effort des rameurs pour gagner la haute mer ou pour reprendre le mouillage. Un port homérique n’est pas même un grand bassin d’eau profonde : il n’a que faire d’une vaste superficie de mer ; ses bateaux ne restent pas à flot. Mais il lui faut une assez grande étendue de plages pour tirer les navires à sec. Un « bon port » (c’est le nom que le poète donne toujours aux mouillages phéaciens) homérique est presque le contraire de nos bons ports : sous un promontoire qui porte la ville, une petite crique suffit, à condition qu’elle soit bien couverte de la haute mer et qu’à l’intérieur du goulet elle renfle sa panse et présente sur la courbure de ses plages le maximum de dentelles, de festons et de petites anses, avec des pentes de sables pour recevoir les vaisseaux halés. De chaque côté de son promontoire, la ville d’Alkinoos a un « beau port » de cette sorte, entre des caps qui forment des goulets étroits, avec des plages développées où chaque vaisseau a sa remise. Or, nos quatre mouillages corfiotes ne répondent pas tous à cette description.