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l’archevêque qui l’attendait avec tout ce qui était à Cambrai. « Le jeune prince, continue Saint-Simon, embrassa tendrement son précepteur à plusieurs reprises ; il lui dit tout haut qu’il n’oublieroit jamais les grandes obligations qu’il lui avoit, et sans jamais se parler bas (ils se parlèrent bas, dit-il au contraire ailleurs), il ne parla presque qu’à lui, et le feu de ses regards lancés dans les yeux de l’archevêque, qui suppléèrent à tout ce que le Roi avoit interdit, avoit une éloquence avec ses premières paroles à l’archevêque qui enleva tous les spectateurs[1]. » Que l’ancien précepteur et l’ancien élève se soient parlé bas ou non, ce n’est qu’un détail ; ce qui est certain, c’est que cette courte entrevue et les propos échangés redoublèrent entre eux la confiance réciproque. On en a la preuve par une nouvelle et cette fois longue épître que, de Valenciennes, le Duc de Bourgogne adressait quelques jours après à Fénelon. Après lui avoir accusé réception d’une lettre qui lui avait été rendue « en particulier » et lui avoir dit qu’il lui rendait réponse par la même voie, en l’engageant « à s’en servir toutes les fois qu’il le jugeroit à propos, » il continue : « Je suis charmé des avis que vous me donnez dans la seconde partie de votre lettre, et je vous conjure de les renouveler toutes les fois qu’il vous plaira. Il me paroît, Dieu merci, que j’ai une partie des sentimens que vous m’y inspirez, et que, me faisant connoître ceux qui me manquent, Dieu me donnera la force de tout accomplir, et d’user des remèdes que vous me prescrivez. Il me paroît que, pour ne guère nous voir, vous ne me connoissez pas mal encore. Quant à l’article qui regarde les Jansénistes, j’espère, par la grâce de Dieu, non pas telle qu’ils l’entendent, mais telle que la connoît l’Eglise catholique, que je ne tomberai jamais dans les pièges qu’ils voudront me dresser. Je connois le fond de leur doctrine, et je sais qu’elle est plus calviniste que catholique Je sais qu’ils écrivent avec esprit et justesse ; je sais qu’ils font profession d’une morale sévère, et qu’ils attaquent fortement la relâchée ; mais je sais en même temps qu’ils ne la pratiquent pas toujours Vous en connoissez les exemples, qui ne sont que trop fréquens. J’aurai une attention très particulière à ce qui regarde les églises et les maisons des pasteurs : c’est un point essentiel, et je garderai sur ces points une exacte sévérité. Continuez vos prières, je vous en supplie :

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. XVI, p. 133 et Écrits inédits, t. IV, p. 459.