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qui buvoit bien et ne savoit rien au-delà[1]. » Il y avait bien encore, auprès des princes, Rasilly, qui avait été désigné pour accompagner le Duc de Berry. Mais il avait été élevé pour l’Eglise et faisait à la lettre sa première campagne. On ne saurait donc reprocher à Saint-Simon de parler « du plus que pitoyable accompagnement de ces princes » et de dire « qu’un particulier auroit le soin de mieux accompagner ses fils. » La critique de Saint-Simon est d’autant plus juste que le Duc de-Bourgogne ne pouvait pas davantage compter comme conseil sur le maréchal de Matignon, qui avait été désigné pour commander en troisième parce que, seul de tous les maréchaux, il acceptait de prendre l’ordre de Vendôme, et dont, suivant l’expression de Saint-Simon, « le bâton étoit léger. » Il y avait là, de la part de Louis XIV, vis-à-vis d’un héritier qu’il aimait et qui allait jouer une aussi grosse partie, une singulière incurie, ou plutôt une méconnaissance des hommes et de leurs aptitudes qui ne devait marquer que trop souvent la fin de son règne, et il faut reconnaître qu’autant par l’association de Vendôme au Duc de Bourgogne que par ces choix inconsidérés, une grande part de responsabilité lui revient dans le mauvais succès de cette campagne.

Une chose plus utile encore au Duc de Bourgogne que des conversations même avec un militaire aussi expérimenté que Puységur et un homme connaissant aussi bien les Pays-Bas que Bergeyck, aurait été des conférences suivies avec Vendôme, où ils seraient tombés d’accord d’un plan à suivre. Mais il n’était pas facile d’obtenir pareille assiduité d’un aussi grand paresseux que Vendôme. Après huit jours passés à Marly, où il travailla tantôt avec Chamillart chez le Duc de Bourgogne, tantôt avec le Roi chez Mme de Maintenon, il n’y eut pas moyen de le retenir, et il s’en fut à Clichy, chez le financier Crozat, qui y avait une fort belle maison, pour s’y divertir. Cependant les conférences avaient continué à Versailles. Chamlay, l’ancien collaborateur de Louvois, qu’on continuait à consulter sur toutes les affaires importantes, y avait été adjoint. Lorsque ces conférences furent terminées, le Roi prit le parti d’envoyer à Clichy Bergeyck, Puységur et Chamlay, pour informer au moins Vendôme de ce qui avait été arrêté. « Ils le trouvèrent, dit Saint-Simon, dans le salon de la maison de Crozat, au milieu d’une nombreuse et fort médiocre

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. VI, p. 337.