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Saint-Simon, et, s’il est permis de supposer qu’il a donné à ses prévisions, si tristement justifiées pur l’expérience, un peu plus de précision qu’elles n’en eurent sur le moment même, cependant on ne saurait lui refuser d’avoir fait montre dans cette circonstance d’une beaucoup plus grande clairvoyance qu’un ami non moins fidèle du duc de Bourgogne, son ancien gouverneur Beauvilliers.

Ce fut à Beauvilliers en effet que Saint-Simon s’ouvrit de ses appréhensions. Nous suivrons son récit. Ayant appris par un rapport de valets qu’on préparait les équipages de guerre du Duc de Bourgogne, avant que le départ du jeune prince pour les Flandres n’eût été officiellement annoncé, il profita de son séjour à Marly, où il se trouvait en même temps que Beauvilliers, pour s’en ouvrir à lui. Un des derniers soirs d’avril, comme il faisait fort beau, Beauvilliers, qui avait envie de causer avec lui, l’emmena jusqu’au bas du jardin, auprès de l’Abreuvoir, où, tout étant découvert, on était sûr de n’être pas écouté (précaution qui, à la Cour, ne laissait pas d’être utile). Là, Beauvilliers lui confirma l’envoi du Duc de Bourgogne en Flandre pour y servir avec Vendôme, et se mit « à en enfiler les raisons en détail : » importance de donner une nouvelle vigueur aux troupes par la présence de l’héritier nécessaire ; utilité de profiter de tout ce que ce prince avait montré dans ses deux uniques campagnes de goût et de talent pour la guerre ; enfin « urgence de réprimer la licence qui étoit montée en Flandre, et par ceux-là mêmes qui la dévoient le plus empêcher, à un point qu’il n’y avoit plus de remède à y espérer que dans l’autorité du prince. » « Il n’y a que lui, ajouta Beauvilliers, dont l’autorité puisse animer la paresse de M. de Vendôme, émousser son opiniâtreté, l’obliger à prendre les précautions dont la négligence a coûté si souvent si cher, et a pensé si souvent tout perdre. » Et comme Saint-Simon, qui était tombé d’accord des premières raisons, se récriait à ces mots, et assurait que ce serait la perte du Duc de Bourgogne, Beauvilliers le pressant de s’expliquer, il répondit en traçant en traits de n’anime un portrait des deux personnages qu’il s’agissait de faire marcher côte à côte : « l’un, dévot, timide, mesuré à l’excès, renfermé, raisonnant, pesant et compassant toutes choses, vif néanmoins et absolu, mais, avec tout son esprit, simple, retenu, considéré, craignant le mal et de former des soupçons, se reposant sur le vrai et le bon, connoissant peu ceux à qui il avoit affaire, quelquefois incertain,