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moins autant que le secret désir que lui prête Saint-Simon d’élever tout ce qui était bâtard, afin que cette élévation profitât aux siens. Il révérait en lui le sang du grand ancêtre dont quelques traits se retrouvaient chez l’arrière-petit-fils[1]. De là, vis-à-vis de lui, une indulgence qu’on dirait poussée parfois jusqu’à la crainte, et qui lui faisait tolérer chez Vendôme ce que, dit avec raison Saint-Simon, il n’aurait pas pardonné à un fils de France.

C’étaient d’abord ses mœurs. Sans doute Louis XIV n’avait pas le droit de se montrer bien sévère, mais, s’il avait été dans sa jeunesse amoureux et galant, il n’avait jamais été débauché. Or, Vendôme l’était jusqu’à la crapule. Au goût des basses amours il joignait un vice qui, dans les poésies satiriques, faisait toujours suivre son nom d’une rime fâcheuse, et que Louis XIV (il faut ici laisser parler Saint-Simon), « quoiqu’il fût plein d’une juste horreur pour tous les habitans de Sodome, » ne lui reprocha cependant jamais. Lorsque la conséquence de ses débauches l’eut forcé de se retirer dans son château d’Anet pour y subir ce qu’on appelait alors la Grande opération, et lorsqu’il en revint fort avarié, ayant perdu beaucoup de dents, et le nez d’aquilin devenu camus, le Roi, à son retour, s’informa de sa santé avec beaucoup de grâce, comme s’il se fût agi de la maladie la plus naturelle du monde, et recommanda bien aux courtisans de ne pas laisser apparaître à M. de Vendôme qu’ils l’avaient trouvé changé.

C’était ensuite son irréligion affichée. Vendôme faisait partie de ce petit groupe des libertins, plus nombreux qu’on ne pense dès la fin du XVIIe siècle, et qui, au XVIIIe, devait donner le ton à la société et à la littérature françaises. Mais, Louis XIV régnant, ce petit groupe se cachait encore par crainte du maître, qui, au plus fort de ses désordres de conduite, était cependant demeuré respectueux des choses religieuses, et qui, dans la seconde moitié de sa vie, imposait assez tyranniquement à son entourage les pratiques de la dévotion. Vendôme ne connaissait pas cette crainte. Il faisait ouvertement partie de la société qui se réunissait au Temple chez son frère, le grand prieur de Malte, non moins irréligieux et non moins débauché que lui, bien que d’un

  1. Cette descendance d’Henri IV contribuait également à rendre Vendôme populaire, car un pont-neuf disait :
    Bouvons tous au petit-fils
    Du grand roi Ventre-Saint-Gris.
    (Bibliothèque nationale, le Chansonnier français, t. XI, p. 334).