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il prit hardiment son essor aux quatre points de l’horizon et finit par aboutir à l’idée pangermanique. Maintenant, nous n’avons plus affaire aux rêveries de penseurs attendris, imbus des idées venues de la France et proclamant les bienfaits prodigués par le peuple allemand à une humanité inférieure ; nous sommes en présence d’une théorie de lutte, née de la philosophie de Kant, de Hegel et de la tradition prussienne, destinée à transformer la race en vue d’une action prompte, peu soucieuse d’inutiles suffrages et se contentant des seuls effets de la force. L’Association Pangermanique, qui s’est faite la gardienne et la propagatrice de la doctrine, a pris soin de la formuler nettement dans la première de ses publications[1] : Der Kampf mn das Deutschtum.

Avec le pangermanisme, l’idée allemande a complètement cessé de se faire douce et conciliante. Dans l’histoire comme dans la nature, affirme-t-on désormais, il n’y a qu’une loi, celle de la lutte pour l’existence. En donnant la victoire au meilleur, au plus fort, au plus beau, elle tend à l’ennoblissement de l’espèce humaine. Le résultat de la lutte marque le choix de Dieu parmi les peuples ; au vainqueur le butin dont lui seul est digne. C’est en vertu de cette loi fondamentale que les diverses races impériales — Herrenvœlker — ont successivement imposé leur domination aux races assujetties ; c’est par elle que se sont élevés, à tour de rôle, les Grecs, les Celtes, les Romains et les Goths, grandissant parce qu’ils avaient eu, à l’heure propice, le sentiment d’une politique universelle — Weltstaatskunst, — disparaissant quand ils venaient à abandonner l’idée créatrice de leur grandeur. Le christianisme tendit à obscurcir la conscience des races ; à mesure qu’il s’éloigna de sa pureté primitive, il adopta une allure plus efféminée et plus attendrie, il prit pitié de la faiblesse ; cet excès de sensibilité chrétienne, favorisée par la papauté en vue de faciliter l’établissement de sa domination universelle, n’eût pu conduire qu’à l’abaissement de l’humanité. Dans ces conditions, la Réforme fut moins une lutte pour la revendication du libre arbitre qu’une réaction de l’idée nationale contre le cosmopolitisme catholique, et c’est ce qui la fit adopter par toutes les races fortes. Les divers cosmopolitismes, nés, depuis lors, de l’affirmation des droits de l’homme — internationalisme,

  1. Fritz Bley, die Weltstellung des Deutschlums.