Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’était point achevée, revendiquant le privilège de poursuivre l’éducation des peuples divers, épandus vers l’Est, dans la vaste région que K. E. Franzos devait caractériser du nom pittoresque d’Halb-Asien ; ils invoquèrent la nécessité de contrôler leur progrès national, en l’imprégnant de la culture allemande. Les historiens nationaux Palacki, Horvath et Maciejowski, appelés en témoignage, avaient été unanimes à reconnaître l’heureuse influence du germanisme sur la formation première des peuples tchèque, hongrois et polonais. On chercha des argumens pour consoler le slavisme de sa défaite : s’il avait été repoussé aussi loin par le germanisme, il y fallait voir la conséquence de ses propres fautes : sa légèreté, sa turbulence et son imprudence, ses divisions internes, son manque d’énergie nationale, sa pénurie de grands hommes aptes à concentrer les aspirations de tous et l’absence d’une classe moyenne servant de lien entre la classe dominante et la foule dominée. A vrai dire, le germanisme a ainsi arraché aux Slaves un énorme territoire de 7 à 8 000 milles carrés, mais que de bienfaits n’a-t-il pas prodigués en échange ! Et les premiers théoriciens de l’expansion allemande s’attendrissaient volontiers devant une telle générosité. Là où, comme en Prusse, s’est parachevée la germanisation du pays, il s’est créé une population forte, formée du croisement des deux races, joignant à la profondeur et à l’endurance germaniques la vivacité et l’habileté slaves ; là où le germanisme a dû se borner à une simple pénétration des peuples slaves ou finnois, il a apporté une culture supérieure, les vertus chrétiennes, l’idée de l’ordre et du droit, le principe d’une organisation administrative et judiciaire, les élémens d’une bourgeoisie, enfin l’art de mettre en exploitation le domaine national.

Ainsi témoignèrent de prime abord, en faveur de leur race, dans ses rapports avec ses voisins orientaux, les publicistes allemands, entraînés par un honnête libéralisme, aujourd’hui disparu ; tels sont les services qu’invoquent encore les avocats les plus modérés du germanisme souffrant, dans les luttes nationales de l’Autriche actuelle. La reconstitution de l’Empire allemand, fondé sur la force par un heureux usage du réalisme politique, devait nécessairement transformer toute la théorie de l’expansion germanique, en lui imprimant une allure plus autoritaire et plus réaliste. Se sentant désormais maître de l’espace, le germanisme ne se borna même plus à regarder d’un seul côté,