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une date nouvelle sous la signature d’un Napoléon. Il donnerait ainsi à la France, sans guerre et sans conquêtes, la revanche de Waterloo.

Contraint d’opter entre la Prusse et l’Autriche, il n’eût éprouvé aucune hésitation : l’alliance autrichienne, à cette époque encore, lui paraissait une rétrogradation ; il se rappelait les paroles de son oncle à Sainte-Hélène : « Mon assassinat à Schœnbrunn eût été moins funeste pour la France que ne l’a été mon union avec l’Autriche. » Au contraire, il avait la conviction très sincère « que la Prusse et la France étaient les deux puissances de l’Europe dont les intérêts s’accordaient le mieux, et que l’agrandissement de la Prusse ne nous serait pas une menace, parce qu’en s’affranchissant du servage de l’Autriche et de la Russie qui l’avaient faite notre ennemie, elle deviendrait une alliée précieuse. » Il avait recueilli cette politique, non seulement dans l’héritage de son père, mais dans celui de Napoléon Ier aussi : « On se demandera un jour, écrit Bignon, l’historiographe choisi par le grand Empereur, pourquoi, dans les six dernières années de son règne, Napoléon s’est montré sans pitié pour la Prusse : c’est que la Prusse aura été la puissance qui lui a fait le plus de mal en le forçant à la combattre et à la détruire, elle qu’il eût voulu étendre, fortifier, agrandir, pour assurer par son concours l’immobilité de la Russie et de l’Autriche. » Au fond du cœur, Napoléon III était toujours du côté de la Prusse, mais, si, en apparence, il n’avait pas tenu égale la balance d’une neutralité impartiale, la rupture d’où dépendait la réalisation de son plan ne se serait pas consommée, le rival sacrifié se serait soumis à une réconciliation même défavorable, et le « bon moment » ne serait venu ni pour l’Italie ni pour la France.

Voilà pourquoi, sans détourner son regard attentif des événemens, Napoléon III avait donné ses derniers soins à la Vie de César. Voilà pourquoi il éludait toute explication avec Bismarck et restait impénétrable à lui comme à Goltz et à Nigra. Voilà pourquoi il s’abstenait de tout préparatif militaire.

On a prétendu que cette immobilité militaire était obligée, que l’expédition du Mexique avait vidé nos arsenaux et nos coffres. Fable de l’ignorance ou de la mauvaise foi[1]. Au 31

  1. Ce ne sont pas seulement les ennemis de l’Empire qui ont accrédité cette légende de mensonge. Je lis dans les Mémoires de Persigny, p. 351 : « Les ministres avaient dissimulé à la Chambre les dépenses du Mexique, en les couvrant par des viremens de crédits dans le budget de la guerre. Ils avaient épuisé et vidé nos arsenaux sans oser demander aux Chambres les moyens d’y suppléer… ils avaient réussi à désarmer complètement le pays ! »