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écrivait Ricasoli, son opinion publique ne lui permettrait pas politiquement d’abandonner Venise[1]. »

L’Empereur s’était convaincu qu’on n’obtiendrait rien de l’Autriche par des négociations amiables. Or, les forces italiennes ne suffisaient pas à une guerre heureuse, et lui-même était résolu à n’en plus entreprendre aucune. Il savait, au contraire, la Prusse impatiente de se mesurer avec l’Autriche : il y avait là une alliance tout indiquée pour sa protégée. Ce furent ses dernières paroles à Pasolini : « Tant que l’Autriche et la Prusse sont d’accord, il n’y a rien à faire. Mais leur accord ne durera pas. Elles viendront par nécessité à la guerre. Alors, ce sera le bon moment pour l’Italie[2]. » De même qu’il avait cherché autrefois une rupture entre la Russie et l’Angleterre afin de rendre possible la campagne de 1859, il poussait de son mieux à une guerre entre la Prusse et l’Autriche dans l’espérance de procurer à l’Italie le secours militaire dont elle avait besoin.

Lui-même escomptait un certain profit pour lui de cette guerre : non une acquisition territoriale, ni Mayence, ni Cologne, ni le Palatinat bavarois, pas même un territoire entre la Moselle et le Rhin ; son ambition était d’autre nature. On croyait généralement au succès de l’Autriche ; Thiers, le maréchal Niel, la plupart des généraux en Europe, y compris le négociateur italien, Govone, pensaient ainsi. Seuls La Marmora en Italie et quelques généraux en France avaient foi en la supériorité de l’armée prussienne. L’Empereur, sans être aussi affirmatif, la prisait beaucoup et estimait que la prépondérance de l’un ou de l’autre des combattans ne se prononcerait qu’après une lutte difficile, de laquelle ils sortiraient également affaiblis : il se réservait pour ce moment. Il interviendrait alors en médiateur pacifique ; il appellerait les belligérans et les puissances neutres à ce Congrès œcuménique après lequel il soupirait ; il y proposerait la confirmation des victoires des nationalités, en Italie et en Roumanie, essaierait d’obtenir l’organisation d’une Allemagne dans laquelle, entre la Prusse agrandie et l’Autriche indemnisée, se serait placée une Confédération des États moyens. À défaut de cet arrangement, il en imaginerait ou accepterait un autre que les circonstances auraient suggéré ; ce qui serait conservé du passé dans la nouvelle charte territoriale de l’Europe ne le serait qu’à

  1. De Francfort (3 septembre 1863).
  2. 22 janvier 1864, Pasolini, Mémoires, p. 412.