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avait adouci la circulaire contre la convention de Gastein. Il est parfaitement impossible aussi qu’après avoir assuré qu’il ne se proposait de soulever aucun projet de nature à troubler la paix européenne, il ait ajouté : « que M. Lefebvre de Béhaine, dont il avait reçu les lettres sur ses entretiens avec Bismarck, était allé dans ses ouvertures plus loin que ne le comportaient ses instructions. » Béhaine n’avait fait aucune ouverture, et tout au plus aurait-on pu lui reprocher de s’être permis une interrogation indiscrète, reproche injuste, car le devoir du diplomate est toujours de s’enquérir, d’autant plus que l’investigation n’avait pas paru indiscrète à Bismarck, qui l’avait aimablement accueillie.

Le récit de Sybel eût-il été rédigé sur un rapport de Bismarck, mes rectifications ne subsisteraient pas moins, car, nous l’avons déjà constaté et nous le constaterons souvent encore, Bismarck est un narrateur suspect. Il se souvient mal : quand les faits sont réels, il les exagère et leur donne une couleur qu’ils n’ont pas eue ; il raconte l’histoire dont il a été le témoin ou l’acteur à la façon de Thiers, sans véracité.


Bismarck s’épancha encore moins avec Drouyn de Lhuys sur ses projets futurs ; il ne lui fit et n’en reçut aucune confidence ; des deux côtés, on resta boulonné. Son échec à Biarritz, lui rendait d’autant plus indispensable l’alliance de l’Italie, qui seule peut-être obtiendrait, de la bienveillance de l’Empereur, les assurances qui ne lui avaient pas été accordées. Il avait abandonné le traité de commerce prusso-italien après l’avoir provoqué ; il engagea Nigra à presser son gouvernement de le reprendre et de concéder au Zollverein le traitement de la nation la plus favorisée : cela lui rendrait propices les populations allemandes et faciliterait la reconnaissance du nouveau royaume par les États moyens. Il lui fit entendre que la guerre avec l’Autriche était inévitable ; il avait la confiance que la France n’y serait pas hostile et, pour exprimer combien la coopération de l’Italie pourrait y contribuer, il s’écria : « Si l’Italie n’était pas, il faudrait l’inventer ! »

Quoique se disant satisfait, Bismarck repartit désappointé de n’avoir appris que ce qu’il savait déjà, et roulant plus que jamais dans son esprit l’insoluble question : « Mais que veut donc l’Empereur ? »