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rhénanes et de porter tout son effort en Bohême, car, quelque confiance que le Roi et Bismarck eussent dans leur belle année, ils n’avaient pas la présomption de la supposer de taille à tenir tête à la fois aux trois armées de l’Autriche, de la Confédération et de la France. Si, pendant qu’ils s’avançaient en Bohême, Napoléon III marchait sur le Rhin, ils seraient obligés de s’arrêter, de rétrograder pour couvrir, peut-être sans succès, Berlin, au lieu d’avoir la chance de menacer Vienne. En retour du service que leur rendait l’Empereur en ne les exposant pas à ce péril, que pouvait offrir Bismarck ? Il ne possédait pas de provinces françaises, telles que Nice et la Savoie, dont il pût nous promettre la cession. Ce qui était dans ses mains était allemand et voulait rester allemand. Pouvait-il inaugurer une unification dite nationale par une mutilation du territoire national ? Il a fallu une affligeante ignorance des sentimens du peuple allemand et des nécessités invincibles qu’ils imposaient au Roi et à ses ministres pour avoir cru un instant que Bismarck consentirait à céder un seul village, en Bavière ou ailleurs, même pour une imperceptible rectification de frontière. L’eût-il voulu, il ne l’aurait pas pu. Jamais on n’eût obtenu des populations abandonnées ce vote favorable auquel Napoléon III était obligé de subordonner toute annexion, grande ou petite.

Il ne pouvait proposer à l’Empereur de porter une main sacrilège sur les parties françaises de la Suisse, l’asile de son exil et de ses jeunes années. Une entente pour l’annexion de la Belgique était la seule combinaison qu’il pût offrir. Le projet était ancien. La Russie l’avait formé à la fin de la Restauration, et depuis quelque temps, en Europe, on en était en souci. « Qu’y aurait-il de plus facile, écrivait, dès le 6 octobre 1861, le prince Albert à lord Clarendon, pour la Prusse que de s’entendre avec la France pour la conquête de tous les États secondaires de l’Allemagne, en reconnaissant à cette puissance le droit réciproque de s’annexer la Belgique ? Ce serait un tour de force qui dépasserait ceux de Cavour, car ce serait payer un service rendu de la poche d’autrui, au lieu de le payer de la sienne. L’Angleterre aurait à se battre seule pour la Belgique. »

Bismarck a-t-il conçu ce projet et était-il venu à Biarritz avec l’intention de dire à l’Empereur : — Partage à deux, soyons brigands de compagnie, vous dans les Pays-Bas, et moi en Allemagne ? — Dans tous les cas, il n’a pas manifesté son intention.