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encore échapper à sa loi. La puissance allemande renaissante tend à consolider l’œuvre de pénétration et de colonisation séculaires, accomplie par la patience du Saint-Empire, en unifiant cette immense région dans un étroit système politique, commercial, économique et financier. L’expansion germanique dépasse même sa sphère primitive : à partir du XVIIIe siècle, elle a installé dans le sud de la Russie et jusqu’au Caucase des populations allemandes ; elle a pénétré tout l’empire voisin de sa culture et de son commerce. En Orient, la dépression de la puissance turque fait tomber l’obstacle qui s’était opposé jusqu’alors aux progrès du germanisme ; le Drang nach Osten précipite vers les Balkans et jusqu’en Asie Mineure une invasion allemande, destinée à germaniser ces régions nouvelles pour les rattacher ensuite au système de l’Europe centrale. Subissant à son tour une poussée plus vaste, le commerce allemand se met à rechercher des entrepôts sur la mer du Nord, la Méditerranée et la Mer-Noire ; il prend pied, successivement, à Rotterdam, à Anvers et à Gênes ; il entreprend l’aménagement du port de Constantza. Enfin l’expansion germanique déborde même hors de l’Europe, marque sa place dans toutes les parties du monde et inaugure l’ère actuelle de la Weltpolitik.


II

L’expansion germanique apparaît ainsi, dès le début, avec les procédés dont elle se servira pendant douze siècles et qu’elle développe encore à l’heure actuelle, après les avoir successivement appropriés à la nécessité des temps. Elle continue à utiliser la réserve humaine que lui vaut la forte natalité de la race. Le germanisme persiste dans son double système : il agit encore par la colonisation là où il ne saurait rencontrer de résistance ; se heurte-t-il, au contraire, à des États déjà formés et susceptibles de réaction nationale, il pénètre et décompose, comme il fit naguère pour la Bohême, la Pologne et la Hongrie. Afin de s’ouvrir les voies, ce n’est plus seulement le catholicisme dont il veut emprunter la puissance morale ; sa principale protection s’étend sur les communautés protestantes ; et il permet à la majeure partie du judaïsme continental de rechercher auprès de lui son point d’appui. De même que le Saint-Empire s’arrogeait jadis le droit de dispenser les couronnes, l’empire allemand tend