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et la Prusse dans certaines éventualités, il s’était prêté avec aisance et bonne grâce à satisfaire sa curiosité. Après avoir eu soin de lui dire que leur conversation allait, dès lors, prendre un caractère exclusivement académique, il lui accorda que, s’il risquait une crise pour obtenir les agrandissemens de territoire qu’il ambitionnait pour son pays, la France ne saurait se renfermer dans une neutralité absolue sans compromettre le rang qu’elle entendait conserver ; il reconnut que la plupart des périls que l’Empereur avait voulu conjurer en 1863, en proposant un Congrès de souverains, subsistaient tout entiers. La défaite de l’insurrection polonaise, les succès des armées austro-prussiennes en Sleswig-Holstein étaient sans doute des faits considérables, mais il n’était pas douteux, et cela par la volonté calculée de la Prusse, qu’il restait une question allemande très compliquée. Les intérêts Scandinaves s’agitaient ; rien de stable n’était encore édifié dans les Principautés unies ; partout ailleurs qu’à Vienne, il était évident qu’il y avait une question brûlante à régler tôt ou tard sur les bords du Mincio. Il n’était donc pas plus possible de se faire illusion sur la gravité d’un pareil étal de choses que prudent à la Prusse de s’imaginer que seule en Europe elle réussirait à se transformer et à modifier les conditions de son existence. Ces prémisses posées, il ouvrit un atlas placé ; sur sa table, et traça avec un crayon la ligne dont la Prusse se contenterait comme frontière dans le Sleswig. Cette ligne partirait un peu au-dessus d’Apenrad à l’Est, remonterait en courbe arrondie vers le Nord et s’infléchirait à l’Ouest vis-à-vis à peu près de la petite île de Romoe. « Dans cette mesure, continua-t-il, il nous serait facile de satisfaire aux sollicitudes qu’inspirent à la France les populations danoises. Maîtres de Duppel, de l’île d’Als, d’un côté, de l’île de Sylt, de l’autre, nous serions en position non seulement de défendre les nouvelles frontières de l’Allemagne, mais encore de dominer, selon nos convenances exclusives, les parages maritimes à la défense desquels nous nous demandons en ce moment si les grands établissemens projetés à Kiel sont bien appropriés. » Continuant à feuilleter son atlas, après avoir jeté un coup d’œil rapide sur la Valachie, vers laquelle l’Autriche devrait se laisser entraîner à vau-l’eau, par le courant du Danube, il examina avec un soin particulier la configuration de la péninsule italienne : la ligne de l’Isonzo serait une bonne frontière pour l’Italie rentrée en possession de Venise,