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Bismarck n’ignore pas, au reste, comment nous envisageons en elle-même la question des Duchés. Nous attachons toujours le même intérêt à ce qu’il soit tenu compte du vœu des populations dans l’arrangement définitif. Il est difficile d’exprimer une opinion sur les éventualités prévues par M. de Bismarck. Mais le cabinet de Berlin est suffisamment édifié sur nos intentions pour savoir que, dans le cas où les événemens qu’il prévoit viendraient à se réaliser, nous examinerions la conduite que nous avons à tenir avec les mêmes sentimens qui nous ont guidés jusqu’ici à l’égard de la Prusse et avec le même désir de trouver nos principes et nos intérêts d’accord avec les siens. »

Bismarck affecta d’être très satisfait de cette note fuyante : il pria Benedetti d’en exprimer toute sa gratitude, parce qu’elle justifiait ses prévisions et la politique dont il s’était fait l’organe[1]. En réalité, il en fut dépité, car elle ne dissipait aucune de ses incertitudes.

Dans les premiers jours d’août, il chargea Goltz de poser de nouveau, en termes plus pressans, l’interrogation : — Si la guerre éclate entre l’Autriche et nous, que pensez-vous faire ?

Personne n’était à Paris. Quoique le moment fût critique, chacun avait pris son congé habituel : Benedelti avait remis les affaires à Lefebvre de Béhaine, Gramont à Mosbourg, tous les deux d’ailleurs très capables de les gérer ; Drouyn de Lhuys était en villégiature, l’Empereur à Fontainebleau, Goltz ne put causer qu’avec l’Impératrice. Dans une longue et confiante conversation, elle lui indiqua les intentions de l’Empereur : laisser faire, sans se lier par un traité de neutralité.

À son retour, Drouyn de Lhuys s’expliqua dans le même sens : « Nous ne sommes pas intervenus militairement pour défendre l’intégrité du Danemark et pour nous opposer à la cession du Sleswig, parce que nous avons cru qu’aucun grand intérêt français ne nous en faisait un devoir. Si la Prusse et l’Autriche prenaient les armes pour régler entre elles le sort des territoires détachés de la monarchie danoise, la situation resterait la même pour nous. Nous ne verrions aucun motif de sortir de la neutralité et de nous immiscer dans le débat, tant que la guerre ne soulèverait pas des questions nouvelles. Si elle venait à s’étendre, nous aurions certainement à examiner ce que nous

  1. Benedetti à Drouyn de Lhuys, 21 avril 1865.