Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/493

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voulez-vous la faire avec nous ? Que devons-nous attendre de vous si nous sommes attaqués sur le Rhin ? » Pour la troisième fois, Russell fit une pirouette et ne répondit pas.

Palmerston se récria fort après la conclusion de la paix : « Cette conduite est honteusement mauvaise et les détails de cette guerre danoise laisseront dans l’histoire de l’Allemagne une page sur laquelle aucun Allemand honorable ou généreux ne pourra plus tard jeter les yeux sans rougir. S’il venait à l’esprit de notre excellent ami et voisin de Paris de priver la Prusse de ses provinces rhénanes, pas un doigt ne se lèverait, pas une voix ne se ferait entendre, pas un homme ni un shilling ne serait voté ; pour s’opposer à cette juste punition infligée au monarque prussien ; de même lorsque le moment sera venu où la France et l’Italie seront prêtes pour délivrer la Vénétie du joug autrichien, la joie avec laquelle le succès de cette entreprise sera acclamé dans toute l’Angleterre sera doublée par le souvenir du Sleswig-Holstein-Lauenbourg. » Il n’en vint pas moins porter au parlement les déclarations les plus pacifiques. Et, prévoyant le cas où « Copenhague serait exposé aux horreurs d’un assaut, à la destruction de la propriété, au massacre de ses habitans pacifiques, à la confiscation, au pillage, à la capture du souverain comme prisonnier de guerre, » son audace se borna à promettre que, « dans ce cas, il réfléchirait encore une fois mûrement sur le parti qu’il aurait à prendre. »

Ainsi, dans les trois circonstances où la France a demandé au Cabinet anglais : « Si je m’engage avec vous dans des démonstrations pouvant conduire à la guerre, me soutiendrez-vous complètement comme en Crimée ? » il n’a pas même répondu. Si la France avait fait la guerre, elle aurait dû la soutenir seule, et seule porter le poids de la Prusse, de l’Autriche, de la Confédération. Si elle avait été vaincue, ce qui était probable, pour ne pas dire certain, l’Angleterre ne serait pas venue la ramasser sur le champ de bataille ; si elle eût été victorieuse, la Russie, à cause de la Pologne, n’eût pas permis qu’elle s’avançât en triomphatrice dans l’Allemagne. Et l’Angleterre, redoutant que l’Empereur se dédommageât sur le Rhin de ses sacrifices, n’aurait pas tardé à oublier le Danemark et à joindre son intervention diplomatique à l’intervention militaire des puissances : la plus formidable des coalitions se serait nouée contre nous. Voilà donc à quels effroyables hasards un souverain français