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présent, elle doit avoir été pour une foule d’âmes un vrai cauchemar ; et, même à présent, j’imagine qu’elle doit tourmenter beaucoup les âmes crédules qui, par exemple, lisent des livres comme celui que j’ai eu un jour entre les mains, l’Enfer ouvert aux chrétiens. À ces âmes-là le sceptique a le devoir de parler : elles ne peuvent que gagner à apprendre que, pour impitoyable que soit le processus cosmique du Pouvoir Inconnu qui régit le monde, on n’y trouve point trace, cependant, d’une idée de vengeance.


Mais il y a d’autres âmes qui tirent de leurs croyances religieuses un parti plus heureux.


Il y en a qui, d’une humeur moins chagrine, s’attachent de préférence à la perspective du bonheur futur, et qui, par l’espoir de ce bonheur, se consolent des maux qu’elles ont à supporter. L’espoir du ciel rend la vie tolérable à une foule d’êtres qui, sans lui, n’auraient point le courage de s’y résigner. Chez ceux, par exemple, qui souffrent de peines incessantes, physiques ou morales, causées souvent par des efforts excessifs pour le bien d’autrui, la pensée quotidienne d’une compensation à venir est l’unique source de réconfort. D’autres, abattus sous le poids de quelque grave malentendu, aspirent au moment où tout s’éclaircira et où leur tristesse se changera en joie. Les mauvais traitemens prolongés d’un tyran domestique produisent, chez la victime de ce tyran, une souffrance que seule peut adoucir l’attente d’une compensation future. Et il y a aussi bien des âmes qui chancellent sous le fardeau épuisant de devoirs quotidiens, accomplis sans goût et sans récompense : elles ne supportent leur destinée que parce qu’elles sont convaincues d’obtenir, après cette vie, une vie libre de toute fatigue et de tout chagrin.

M. Spencer, comme l’on voit, admet plusieurs catégories de personnes à qui les croyances religieuses rendent un service des plus appréciables ; et il aurait pu joindre encore à son énumération la catégorie, non moins nombreuse, de celles que l’espérance d’une vie future soutient et console, non pas à un point de vue égoïste, mais parce qu’elle leur permet de croire à la survivance d’êtres qu’elles aimaient, qui ont souffert sous leurs yeux, et qui sont morts. Il y a en vérité mille catégories d’âmes qui, à des degrés divers, tirent de leur foi religieuse, tout au moins, une distraction ou un soulagement ; et M. Spencer lui-même est forcé de reconnaître que, aujourd’hui, l’espérance du ciel fait aux hommes plus de bien que la crainte de l’enfer ne leur fait de mal. Quelle doit donc être, à son avis, l’attitude du sceptique à l’égard de ceux des croyans que leur foi console des maux qu’ils ont à supporter ? À cette question le vieux philosophe répond, avec sa franchise ordinaire : « Changer la croyance d’êtres comme ceux-là ne peut avoir pour eux que des effets déplorables. A moins d’une insouciance qui se doublerait de cruauté, l’agnostique évitera soigneusement