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dédaigneux de la symphonie et du chant, il n’a pour élément que la formation, la déformation et la transformation des accords. Cela ne laisse pas d’être considérable et peut-être encore plus périlleux.

On ne manquera pas de répondre aussitôt que toute une école, tout un siècle, — et lequel ! — n’a pas connu d’autre idéal, d’autre pratique, et qu’au fond, ils ne furent guère que des harmonistes sublimes, les vieux maîtres de la polyphonie vocale, les de Lassus et les Palestrina. Sans doute ; mais leurs harmonies d’abord, auprès de celles qu’on nous propose aujourd’hui, leurs harmonies étaient en quelque façon thématiques et chantantes. Une idée y était impliquée et suivie. Et puis leurs accords étaient beaux, et purs, et doux ; leur génie harmonique était harmonieux. L’harmonie alors était ordonnance et hiérarchie ; elle n’est ici qu’anarchie et désordre, dissonance, discordance et désarroi. Les notes, qui s’aimaient et s’attiraient naguère, ne font plus, et de plus en plus, que se repousser et se haïr. Dans l’orchestre de Pelléas et Mélisande, suivez, entre les parties extrêmes, les voix intermédiaires : elles cheminent à l’aventure, sans qu’on sache d’où elles viennent, où elles vont, et sans paraître elles-mêmes le savoir. Le hasard, non la volonté, semble présidera leurs évolutions. De là tant de rencontres hasardeuses, tant de froissemens et de conflits. Désormais rien ne se prépare et rien ne se résout. Comme le voilà déchu de son vieil et presque divin privilège, cet accord de septième, que Bettina, dans une lettre à Gœthe, appelait si bien l’accord libérateur ! Il y a longtemps que la musique ne délivre, n’allège plus notre esprit et notre âme, qu’elle les accable au contraire et les asservit. Et n’en déplaise à nos. modernes harmonistes, tant de beautés hardies, comme ils appellent leurs trouvailles, ne sont que de faciles horreurs. Oui, trop faciles, car la musique est de tous les arts le plus tolérant, le seul contre lequel nul attentat n’est impossible. Les autres ont moins de patience. La matière pesante sait se défendre ou se venger de l’architecte et du statuaire qui méconnaît sa nature et prétend la contraindre. Des blocs de pierre ou de marbre, s’ils portent à faux, tomberont. Mais les lois de la beauté sonore n’ont pas de pareille sanction. Les notes souffrent la violence. Elles gémissent, elles crient, — on le sait quand on vient d’entendre Pelléas et Mélisande, — mais elles ne tombent pas.

Allons plus loin encore. Il se pourrait que l’harmonie fût, entre les divers élémens de la musique, le moins favorable au drame lyrique, à la représentation de la passion et de la vie. Rappelons-nous que les maîtres de la polyphonie vocale ne furent pas des musiciens