Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/457

Cette page a été validée par deux contributeurs.

en des paysages de songe où triomphe le génie pittoresque de M. Albert Carré, « on découvre » l’amour de Pelléas et de Mélisande. Golaud, qui le découvre le dernier, s’en afflige d’abord seulement, puis s’en irrite jusqu’à la fureur, jusqu’au meurtre même. Ayant surpris les amans, il tue Pelléas et blesse Mélisande. Et celle-ci meurt de sa blessure, de son amour, et aussi d’un petit enfant auquel elle a donné le jour.

Ces choses uniformément lamentables se passent en des temps incertains, en des lieux indéterminés. Elles nous sont contées sur un ton dolent, en des phrases courtes, mais volontiers répétées deux fois ; souvent insignifiantes, mais qui nous inquiètent pourtant par ce qu’elles semblent du moins enfermer de sens profond, symbolique, et que nous ne comprenons pas. L’ensemble produit une impression de vague, monotone et morne poésie, où le charme du mystère est dominé par le soupçon et le dépit de la mystification.

Il y a dans la pièce de M. Maeterlinck des choses shakspeariennes : je veux dire empruntées à Shakspeare. Les fureurs jalouses de Golaud imitent littéralement celles du Maure et, par la douceur passive, Mélisande égale au moins Desdemona. Quelques répliques ont semblé justement ridicules ; une scène au moins a déplu. Que Golaud, ne pouvant atteindre à la fenêtre de la chambre où se trouvent Mélisande et Pelléas, prenne sur ses épaules un enfant, le sien, et le fasse témoin et rapporteur de ce qui se passe derrière les vitres éclairées, cela peut se lire ; mais cela ne saurait se voir, et cela ne s’est pas vu sans quelque répugnance.


Parmi les divers élémens dont se compose toute musique, il en est deux, qu’au dire même de ses admirateurs, le musicien de Pelléas et Mélisande a délibérément supprimés : l’un est le rythme et l’autre la mélodie.

Je crois bien, et ce n’est pas la moindre originalité de M. Debussy, que, le premier entre tous les compositeurs, il a tenu cette gageure et l’a gagnée, d’écrire une partition entière sans une phrase, que dis-je, sans une mesure de mélodie. Une seule fois, peignant au clair de l’une sa longue chevelure, Mélisande s’oublie et chante. Et sa chanson, ou plutôt sa mélopée incertaine, mais pénétrante et douce, est la seule ligne sonore qu’en cette œuvre, où rien ne se dessine, la voix humaine daigne ou sache tracer.

L’orchestre ne chante pas plus que la voix. À peine si de temps en temps revient un semblant, une ébauche de thème, et si petit ! si