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aimer et respecter. Ils en ont aperçu et montré la grandeur, ils ont vu couver en elles la flamme qui, à de certaines heures, allait éclairer de lueurs magnifiques le champ de bataille et du sein de la déroute faire jaillir la gloire. Non contens de nous faire entendre le fracas des armes, de faire passer en nous le frisson de la mêlée, ils évoquent ce que Corneille appelle l’âme du combat. On aime à trouver justement sous leur plume le récit de cette charge de la division Marguerite qui arrachait au vainqueur ce cri : « Les braves gens ! »

C’est un cauchemar que de tels livres nous font revivre ; on les lit le cœur serré, lecture qui fait souffrir et dont on ne peut se détacher. Cette souffrance est bonne. La pire maladie dont un peuple puisse être atteint, est celle de l’oubli. Il faut donc applaudir à l’effort des écrivains qui se donnent pour mission de nous remettre sous les yeux les instans décisifs de notre vie collective. Aujourd’hui, après qu’un espace de temps déjà long nous a permis de retrouver le sang-froid et de cicatriser nos plaies, il semble que nous éprouvions le besoin de nous reporter vers des événemens qui exercent sur nos âmes une attirance douloureuse. C’est un intérêt de ce genre qui s’attachait au récit poignant de M. René Bazin : les Oberlé. Il se fait chez nous une « littérature du souvenir. » Par là se découvre l’utilité du roman collectif, et ce qui lui prête une réelle valeur morale. Puisque c’est par son histoire qu’une nation est constituée, il est bon qu’elle reprenne conscience des heures vécues en commun, de celles où ce qui fait son unité lui est apparu sous la forme la plus aiguë, avec une exceptionnelle intensité.

Les romans que nous avons jusqu’ici étudiés nous reportaient dans le passé. Les auteurs avaient dû dégager des documens écrits la vision des événemens qu’ils y content et la susciter en eux avant de nous la présenter. Avec M. Barrès, nous reprenons pied dans l’époque contemporaine. Son Roman de l’Énergie nationale est une adaptation, non plus de l’histoire, mais des Mémoires au roman. L’écrivain a été témoin de beaucoup des faits qu’il retrace ; parfois même il y a été acteur. Il a coudoyé plusieurs des personnages qu’il met en scène. Il travaille directement sur la réalité. Son œuvre est achevée aujourd’hui, et vue d’ensemble elle apparaît avec une véritable unité. Une même idée circule à travers ces trois volumes, et, si peut-être elle ne suffit pas à en justifier tous les épisodes, elle nous permet du moins de suivre le dessein de l’auteur et de voir comment celui-ci s’achemine logiquement à sa conclusion. Cette idée est l’une de celles qu’avait le plus fortement mises en valeur l’historien des Origines de