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aidée de la physiologie, ou plutôt elle s’y était asservie ; et cela explique que le roman, dans l’école naturaliste, se soit fait si souvent pathologique et médical. A l’heure actuelle, une science nouvelle est en train de se constituer, qui poursuit, non plus dans l’individu mais dans la collectivité, l’étude des phénomènes de l’esprit. A défaut de résultats très précis, difficiles à obtenir dans des matières si complexes et dans des recherches si neuves, elle est parvenue déjà à fixer quelques points qu’on peut considérer comme acquis. Elle a tout au moins défini son objet. Un groupe. — foule ou public, assemblée ou corps constitué, province ou nation, — a une âme qui n’est pas la somme de toutes les âmes qui la composent, mais qui en est plutôt la résultante. Cette âme a ses vertus, et ses défauts, ses générosités et ses cruautés ; elle a ses momens d’élan sublime et d’enthousiasme, comme ses périodes de lassitude, de malaise et de folie. Elle a ses lois de formation et de développement, étant déterminée elle aussi par le moment et par le milieu. Elle subit la double pression des influences ambiantes et des influences antérieures. L’hérédité, notion si obscure, si incertaine quand il s’agit des individus, s’appelle la tradition quand il s’agit des peuples et constitue une des forces qu’il est le plus chimérique et le plus dangereux de méconnaître. Dans un même pays, dans une même province, dans une même classe sociale, se manifestent des façons de sentir et de penser, qui non seulement sont communes à tous ceux qui en font partie, mais qui résultent de ce qu’ils sentent et pensent en commun. Dans une même époque s’établissent des courans d’idées, des courans de sensibilité. Comme les âmes individuelles ont concouru à former cette âme universelle, à leur tour, elles sont modifiées par elle, en reçoivent l’empreinte ou réagissent contre elle. Il y a ainsi une psychologie de la France révolutionnaire, impériale, monarchique, républicaine. La France est une personne, qui a son génie, sa sensibilité, ses façons d’agir et qu’on peut donc mettre en scène comme un personnage de drame, décrire et analyser comme un personnage du roman. Il y a une psychologie de l’Armée, il y en a une du Parlement. Certains phénomènes ne s’expliquent dans ces groupes que par l’échange et par le contact, et deviennent l’objet même d’un roman qui envisage la collectivité. Ainsi, retour à l’histoire pittoresque, progrès de la psychologie collective, tel est le double mouvement d’où est sorti le roman collectif.

Les deux livres déjà parus de M. Paul Adam, la Force, l’Enfant d’Austerlitz, nous en offrent un premier spécimen. La France a été en 1792 exaltée par le devoir patriotique de la défense du sol envahi,