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La mienne est assez insipide, sauf M. Saigey[1] ; il vu beaucoup dans le monde. Dois-je y aller pour si peu de temps ? Car il me paraît certain que je quitterai Poitiers au mois de septembre. Et que dire ? La conversation, me dit mon ami, ne roule Que sur le tiers et le quart, et sur les nouvelles du jour. J’aurais à peine le temps de me mettre au fait des commérages. Et quand je les saurais, il faudrait partir. Ajoutez que si ma thèse revient, il faudra corriger l’impression. Je verrai une ou deux personnes et je crois bien que le reste du temps je resterai chez moi. En ordonnant son temps et ses occupations, on s’y trouve bien. Ce sont les petits plaisirs qui égaient la vie : une tasse de café me rend heureux pendant deux heures.

Ma chère Ninette[2], que dites-vous du printemps ? Votre âme de peintre n’est-elle pas ravie ? Je ne suis jamais las d’admirer le ciel et les arbres au soleil, après la pluie. Je crois que j’aurais été paysagiste. Il me semble que tout peut prêter à un tableau. Les endroits les plus vulgaires deviennent splendides par certaines échappées de soleil. Tout à l’heure, en revenant, j’ai vu une affreuse rue pierreuse, tortue et déserte, peuplée de froides, ennuyeuses et décentes maisons bourgeoises. Elle était coupée en deux par la lumière. La moitié du ciel, noire et cuivrée, jetait sur le commencement l’obscurité et des reflets métalliques, et l’autre étincelait dans la plus pure blancheur. Le soleil est le grand artiste ; je conçois que des hommes comme Rembrandt aient passé leur vie dans l’amour des lumières, et des ombres. Les grandes masses de couleurs simples ont une âme, et il suffit de les regarder pour être heureux.

Je vais demain (par ordre) à la confirmation. L’évêque[3] la donne aux enfans du collège ; on dit qu’il est orateur ; cela m’amusera peut-être. C’est un de mes élèves (j’ai choisi le mieux noté dans les conférences religieuses) qui lui débitera un petit discours, corrigé par moi, que j’ai rendu le plus court et le moins emphatique que j’ai pu. — L’aumônier ne voulait-il pas m’obliger à faire de ma main une ode latine ou française, que j’aurais mise dans la bouche d’un de mes jeunes sansonnets ? Tu conçois avec quel empressement j’ai rejeté un pareil licou. Le piquant est qu’il voulait une ode dithyrambico-pindarico-galimatiaco-logique,

  1. Ingénieur des télégraphes, ancien condisciple de M. Taine au lycée Bourbon.
  2. Sa sœur Virginie.
  3. Mgr Pie.