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LES IDÉES SOCIALES


DE NIETZSCHE
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Nietzsche accuse de nihilisme la société européenne et, par nihilisme, il entend l’affaissement ou l’annulation de la volonté de puissance, fond de la vie individuelle et sociale. À l’en croire, toute la société « moderne » est victime d’une immense erreur, qui est la cause de l’universelle décadence. Une société déchoit quand elle prend pour principes d’action des valeurs antivitales, c’est-à-dire contraires au sens même de la vie, qui est la recherche insatiable du pouvoir et de la domination. La maladie moderne, le mal des civilisés, selon Nietzsche, c’est l’atonie et l’impuissance de la volonté. Saint Augustin disait : Aime et fais ce que tu voudras. Zarathoustra, lui, nous dit de vouloir et de faire ce que nous voudrons.[1]


Hélas ! que ne comprenez-vous ma parole ? Faites toujours ce que vous voudrez, mais soyez d’abord de ceux qui peuvent vouloir !

Aimez toujours votre prochain comme vous-mêmes, — mais soyez d’abord de ceux qui s’aiment eux-mêmes.

Qui s’aiment avec le grand amour, avec le grand mépris !

Ainsi parle Zarathoustra, l’impie.

Mais pourquoi parler quand personne n’a mes oreilles ? Il est encore une heure trop tôt pour moi.


La grande faute de la société moderne, qui a fait de la religion « une décadence, » de la morale une « décadence, » de la

  1. Ainsi parlait Zarathoustra, trad. Albert, p. 243.