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instant l’illusion de l’alliance rêvée par le bon philosophe Wladimir Solowiev qui voulait mettre d’accord, on le sait, le Pape et l’Empereur, atténuer le despotisme laïque par la suprématie d’une église libre.


Auprès de Kharkov et de ses 170 000 habitans, Poltava, qui compte à peine le tiers de cette population, a une importance bien secondaire ; mais, elle aussi, est chef-lieu de gouvernement et forme le centre d’un grand commerce. Le tort qu’elle partage avec la plupart des villes russes, c’est d’être beaucoup trop éloignée de la gare. Cette distance démesurée prouve que dans le tracé des lignes de chemin de fer, on s’est à peine occupé de leur existence. Il faut se jeter, en descendant du train, dans un de ces véhicules sordides, prétentieusement nommés phaétons, qui vous emportent à deux ou trois verstes de distance peut-être, vous et vos bagages empilés devant et derrière, sur le siège, les brancards, de tous côtés, au bruit des brou brou répétés en sourdine, qui avec poshol (va toujours), et stoï (arrête), forment le fond du langage parlé par le cocher russe à ses chevaux, celui que le voyageur apprend d’abord. Je n’en sais guère d’autre, pour ma part.

Il est peu de villes qui se présentent d’une façon plus coquette et plus engageante que Poltava. Des groupes de maisons s’étagent dans la verdure entre deux sommets marqués l’un par l’Institut des demoiselles nobles et les vastes ombrages où il se cache, l’autre par le monastère de l’Exaltation de la Sainte-Croix, que l’on dirait exalté en effet au-dessus de la steppe voisine. Le peu de hauteur des bâtimens d’habitation, qui ne dépassent guère deux étages, donne plus d’importance qu’ils n’en possèdent en réalité aux couvens, aux nombreuses églises. Les 53 000 âmes de Poltava, sont pourtant en grande partie des âmes juives. C’est à ce point que, les jours de fête, toutes les boutiques étant fermées, la ville semble morte.

La première chose à faire en arrivant, c’est de monter à la cathédrale, non qu’elle mérite d’être visitée pour elle-même, mais jamais église ne fut mieux située : on découvre de là le cours sinueux de la Vorskla, un charmant affluent du Dnieper, si claire et d’un bleu d’acier dans son lit blanc de sable fin ; puis, à perte de vue, la plaine sans accident, mais encore très boisée. L’immense place de la Cathédrale est nue, poudreuse.