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main » dont le voyageur français ne peut se faire aucune idée avant d’avoir vu ces ballots monstrueux où entrent, avec les couvertures et les oreillers d’usage, jusqu’à des matelas, sans parler des provisions de bouche. Il est bon, pour loger tout cela, que chacun puisse, sans beaucoup de frais, s’assurer en wagon une banquette entière.

Il manquait à Kharkov, quand je l’ai vu, le va-et-vient des étudians de l’Université et des cinq cents élèves de l’école de technologie. L’impression qu’il m’a laissée est une impression de tristesse, malgré l’activité du grand commerce des laines et des fourrures. Surtout il m’a paru singulièrement provincial : aucune élégance d’aucune sorte ne s’ajoute à l’évidente richesse. Provinciale entre toutes, mais d’un provincialisme de chez nous qui m’est allé droit au cœur, la confiserie française de M. Poche. J’y reconnus trait pour trait la confiserie de petite ville que je fréquentais en mes premières années, avec des bonbons antédiluviens pour ainsi dire, des bonbons naïfs qui sont restés dans ma mémoire, les meilleurs de tous. Sur les rayons des vitrines, les bocaux qui les renferment s’alignent, côte à côte avec des jouets non moins vieillots que toute cette sucrerie. Le comptoir, l’étalage, tout est censé parisien. Dans cette confiserie, Karkov m’est apparu comme la patrie de mon enfance. Si seulement les Poche d’aujourd’hui savaient parler français ! Mais non, ils ne gardent du pays d’origine que l’excellente recette de leur chocolat et des traditions de pâtisseries variées qui remontent tout au moins à la Révolution de 1848.

J’eus une autre émotion, plus haute et plus forte, cela va sans dire, dans la petite église catholique qu’écrasent de leur magnificence les églises orthodoxes dont l’une, la cathédrale, a dans son clocher une cloche d’argent offerte par les habitans de Kharkov, en commémoration du terrible déraillement de chemin de fer survenu tout près, à Borki, accident où aurait pu périr la famille impériale. Qu’elle est misérable en comparaison, cette église romaine ! Mais, pour bien sentir la place que tient eu nos âmes le culte qui fut le nôtre depuis notre naissance, il faut l’avoir rencontré humilié, délaissé à l’étranger. Aucune cathédrale ne m’inspira jamais plus de vénération que cette chapelle, bien pis que pauvre, mesquine à l’excès, où priaient dispersés quelques artisans polonais ou allemands. Et la présence sur ces murailles latines d’une image de la Vierge grecque nie donna un