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la veille des fêtes de l’Assomption ; ils vont visiter les grottes saintes où vécurent, en s’imposant les plus austères pénitences, les premiers religieux arrivés du mont Athos ; ils vont, dans la cathédrale Ouspensky[1], s’agenouiller devant une Vierge qui, portée en procession, dissipe les disettes et les épidémies. Beaucoup de femmes sont chargées d’un vaisseau de fer-blanc en forme de théière, qui leur sert à puiser de l’eau. C’est avec une besace tout leur bagage. Une paire de bottes, quel que soit le sexe du pèlerin, est passée en sautoir au cou des moins pauvres ; d’autres portent des lapti, espèce de sandales en écorce de tilleul, avec des bandes d’étoffe entre-croisées au lieu de bas ; mais les pieds nus sont en majorité. Ces gens ne mendient pas, ne représentent la délégation d’aucune paroisse, ne sont conduits par aucun prêtre : ils viennent spontanément, d’un élan de foi tout individuel. Dans la ville nous les avons rencontrés deux par deux ou isolés, mais, à mesure que nous avançons sur la Nikolskaia, leur nombre augmente : bientôt on dirait un défilé de fourmis ; il passe chaque année, paraît-il, du 15 juillet au 15 août, 150 000 pèlerins à la Lavra de Kiev.

Ces laures ne répondent pas très exactement à l’idée que nous nous faisons des monastères. Sauf à Jérusalem, au mont Athos et au Sinaï, rien de pareil n’existe ; il n’y en a que quatre en Russie où elles sont, en même temps que couvens, résidences de métropolites et grands séminaires pour le clergé régulier, le clergé noir. Les murailles fortifiées qui les entourent, — enfermant des cathédrales et ces académies qui chez nous seraient des facultés de théologie, — soutinrent plus d’un siège et résistèrent jadis aux hordes envahissantes des Tatares : actions d’éclat qui ne restèrent pas sans récompense de la part des empereurs. Ceci explique la richesse des moines jadis guerriers. Une laure des environs de Moscou possédait au XVIIIe siècle 120 000 serfs et pouvait mettre 20 000 hommes sous les armes. Celle de Kiev est la plus ancienne, la plus renommée, la principale à tous égards ; elle remonte au premier métropolite Hilarion, qui lui-même fut ermite dans les grottes avant le moine Antoine du mont Athos ; ensuite vinrent saint Théodose, Nestor, le premier historiographe de la Russie, et bien d’autres cénobites, quelques-uns d’illustre origine. Épris de pauvreté volontaire, ils habitaient,

  1. De l’Assomption.