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La barinia s’est laissé duper, les bêtes valent beaucoup plus, des voleurs ont indignement abusé de l’inexpérience de la barinia. Je pense en moi-même : — Combien il prend à cœur les intérêts de la maison !

— Que veux-tu ? lui dit la dame quelque peu ébranlée. Le marché est fait.

En soupirant toujours, mon honnête homme se retire avec des saluts jusqu’à terre. Mais le lendemain, de bonne heure, on le voit revenir, le visage épanoui, portant un sac d’argent. Il insinue, toujours ployé en deux, que, comme il avait vendu les bœufs pendant son séjour en ville, comme il en avait même reçu le prix, la barinia pourrait sans scrupule donner cette bonne raison pour se dégager.

Et la dame est au fond de son avis.

Pourquoi ne l’a-t-il pas dit la veille ?

Là-dessus le cocher ne s’explique pas. De fait il n’avait nullement vendu les bœufs quand la nouvelle du marché lui a été donnée ; mais après, dans la nuit, il a couru au village chercher une surenchère qui lui valût un pot-de-vin. Malheureusement pour lui les premiers acquéreurs furieux viennent dénoncer cette manœuvre et offrent de payer davantage. Tout cela prend mauvaise tournure au gré de la dame. Sentant que de tous côtés on la trompe, elle garde ses bœufs, réflexion faite.

Moi je commence à croire ce qui m’a été dit de tel voleur de profession qui n’enfreindrait à aucun prix les lois du jeûne et qui brûle des cierges pour le succès de ses entreprises.


Une impression triste m’est procurée chaque nuit par le claquement régulier de la kolotouschka. La kolotouschka est en usage dans toutes les propriétés rurales. Entre les mains du veilleur qui l’agite, elle produit quelque chose comme le son d’une énorme castagnette. Du soir au matin ce bruit retentit à intervalles rapprochés, dominant le bruit du vent ou de la pluie et annonçant que bonne garde est faite contre les voleurs, contre les incendies. Je me représente avec une grande pitié le sort de cet errant chargé, pendant les longues et cruelles nuits d’hiver, de veiller sur le repos des maîtres. On me répond qu’alors deux hommes se relayent pour agiter la kolotouschka et qu’après tout, sous leur touloupe de peau de mouton, ils ne sont pas trop à plaindre. Pourtant il suffit, dans le profond silence