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et je lis leurs platitudes avec une tranquillité stoïque. Quand on a pris son parti, on ne s’irrite plus de voir des hypocrites et des sots.

C’est là, mon cher ami, la réforme difficile. Nous prenons trop à l’École l’esprit égalitaire. Nous faisons l’absurde hypothèse que tous les hommes sont des hommes. Pas du tout : quelquefois on en rencontre un par hasard ; les autres sont des machines, comme tu dis fort bien, qui nous font du pain et des habits, et j’ajoute, qu’on salue avec respect. Il faut s’habituer à vivre dans la grande mécanique des rouages stupides. En se cuirassant d’orgueil, on ne sent plus leurs chocs, on oublie les êtres particuliers, et l’on ne songe plus qu’aux choses générales qui seules méritent de nous occuper.

Écris-moi pourquoi tu es resté dans la boutique. Ma seule raison est qu’elle me donne 1 800 francs et ne me prend que deux heures par jour.

Qu’est-ce qui remplace M. Simon en première année ? Qui a donné sa démission ? Est-ce de Benazé ? Amitiés à tous les nôtres et à toi salut et fraternité.


A sa mère.


Poitiers, 7 juin 1852.

Je suis allé chez le recteur qui m’a dit que rien n’est changé au décret sur l’agrégation, il est indépendant de la loi qu’on va faire. Ainsi, pas d’agrégation pour moi cette année. Je suis donc rejeté sur le doctorat, et le recteur d’ici a mes thèses pour les envoyer au Doyen de Paris. Rien à craindre. Il ne s’agit que de pure science et d’expériences nouvelles. L’examinateur, dans sa lettre, me reprochait des tendances dangereuses ; j’ai adouci les endroits scabreux et je viens de lui écrire une lettre « mielleuse et serpentine » comme dirait Sophie, à l’effet de lui prouver que ma thèse est parfaitement vertueuse, composée pour la plus grande gloire de Dieu et du roi, et qu’elle a précisément des tendances contraires à celles qu’il blâme. Le seul danger est que j’apporte des idées entièrement neuves, et une théorie importante. Comprendront-ils ? Ne s’effaroucheront-ils pas de cette invention subite ? Là est la question. Je t’écrirai dès que j’aurai la réponse.

J’ai prêté fort tranquillement les sermens, cela était dans