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écouter une confession, puis il prit dans la coupe, avec une cuillère qui sert à tous, un morceau de pain trempé dans le vin et le lui présenta ; du vin lui fut encore versé dans une tasse de métal. Lhomme passa près de moi, toujours soutenu par son fils ; tremblant comme de froid sous la lourde touloupe en peau de mouton, si chaude pourtant et si peu de saison, il gagna la porte. Comment il avait eu la force d’accomplir cet acte de suprême piété, je ne me l’explique pas. La foule s’ouvrit lentement devant le groupe étrange qui se retirait de la vie, semblait-il, en même temps que de l’église, et personne ne tourna la tête, tant ce genre de courage est ordinaire sans doute. Ensuite une mère apporta son fils infirme ; telles d’autres mères qui priaient le Christ de toucher leur enfant, sûres qu’il serait guéri. La messe terminée, la lecture de l’Evangile du jour a lieu en russe. Parfois le prêtre y ajoute quelques mots. On voit alors les fidèles s’avancer avec une curiosité, un intérêt avides, boire la parole pour ainsi dire. Pourtant la voix qui s’adresse à eux les tance plutôt qu’elle ne les exhorte, je l’entends s’élever grondeuse. Que leur reproche-t-on ? De manquer aux abstinences. Pauvres gens à qui l’usage de la viande proprement dite est presque inconnu ; mieux vaudrait leur recommander de s’abstenir de vodka ! Mais celle-ci est au contraire, on le sait, un adoucissement aux excès du maigre, car sans bortsch que peut devenir le paysan russe et comment faire un bon bortsch sans un peu de lard ? En écoutant récriminer le pope, je me rappelle que l’Évangile a dit : — Quand votre enfant vous demande du pain, vous ne lui donnez pas une pierre. — C’est une pierre tout de bon que cette brève réprimande. De la belle tâche qui leur incomberait, dissiper les ombres de la superstition et en dégager la piété véritable appuyée sur la morale chrétienne, ceux des popes que j’ai vus ne semblent avoir aucun soupçon. Fils de popes pour la plupart, sortis de la caste sacrée, ils s’acquittent machinalement d’un geste ancestral que l’atavisme leur a transmis. Assez souvent le père et le fils ont desservi la même paroisse ; l’un après l’autre, ils ont vécu de leurs paroissiens au lieu de songer à les instruire. Leur excuse est dans leur pauvreté et dans le discrédit où ils sont tenus. Nulle part je n’ai entendu parler avec respect du clergé séculier.

Les plus ignorans se rendent compte du peu de valeur des écoles paroissiales que le pope laisse d’ordinaire aux soins d’un