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de visiter la Russie, sans s’éprendre de Pierre le Grand. J’ai cherché avec soin tous ses portraits, j’ai gravé dans mon souvenir cette figure de génie où le regard direct et pénétrant des beaux yeux noirs pleins de l’eu, est adouci par l’expression d’une bouche si humaine, toute de bonté. Chaque trait de cette imposante physionomie est magnifiquement caractéristique. Et, comme me le dit un des adversaires les plus acharnés de l’autocratie avec qui je regardais un tableau célèbre de l’école russe représentant l’entrevue dernière du Tsar et de son fils, celle où se décida le sort du malheureux Alexis : « Il ne commit que les cruautés nécessaires. »

Mais enfin cet homme, grand parmi les plus grands, n’était pas Dieu ; il ne pouvait créer un monde en sept jours en y ajoutant par surcroît des splendeurs empruntées à la cour de Louis XIV. Ce fut sur la plus complète barbarie un merveilleux plaquage de civilisation importée auquel Catherine adjoignit le goût de la philosophie française, et jusqu’à ce jour, la Russie se ressent de ce qu’eut d’artificiel l’œuvre, si belle qu’elle fût. On est frappé du voisinage incongru d’aspirations sociologiques ou scientifiques qui devancent le XXe siècle et de superstitions toutes primitives. Pour combler l’abîme, il faudrait entre ceux qui savent trop et ceux qui ne savent pas assez des traits d’union bien intentionnés, des interprètes à l’âme pieuse et à l’esprit éclairé qui, peu à peu, rapprocheraient les distances entre les différentes classes intellectuelles, dans la mesure du possible. Ces intermédiaires devraient être les prêtres ; à défaut de ceux-ci, on les trouvera, espérons-le, parmi les instituteurs et institutrices des écoles du zemstvo, pourvu que cette assemblée locale, déjà parlementaire jusqu’à un certain point, ne soit pas trop bâillonnée et entravée par les restrictions que la méfiance du gouvernement lui impose.

Partout, en province, d’un bout de la Russie à l’autre, quand il s’agit d’écoles, d’hôpitaux, de colonies scolaires, d’intérêts agricoles, de questions relatives à l’hygiène, de tout ce qui peut augmenter le bien-être matériel et moral de la population, on vous parle du zemstvo et de son heureuse influence. Les principaux devoirs qui lui incombent sont de veiller à l’entretien des routes, d’élire les juges de paix, de s’occuper de l’état des récoltes afin de prendre les mesures nécessaires contre la famine trop souvent menaçante. Ses membres visitent les établissemens