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chaleur, la sécheresse, le fléau des mouches, très peu d’automne, et puis l’hiver est à recommencer.

Nous ne sommes qu’en septembre, vieux style. Le 27 qui équivaut à notre 11 octobre, on célèbre la cérémonie rustique, dite mariage de la chandelle, qui annuellement inaugure les veillées.


Le mois de septembre est par excellence celui des tarentules. Du trou parfaitement rond qu’elle s’est creusé dans la terre, sort l’énorme araignée aux larges pattes qui semble porter sous son ventre un sac de velours jaune. C’est un insecte bien calomnié, car personne ne se rappelle avoir vu un homme, un enfant, un chien même mourir de sa morsure, qui est certainement venimeuse, mais non pas au degré où le veut une superstition populaire.

Jamais je n’en ai compté autant qu’au bois de Bouzowa, le bois des lilas, trois bouquets d’arbres situés au loin sur un point désolé de la steppe, qu’ils égayent à l’improviste. Une petite source y fait croître quantité de fleurs sauvages. Dans l’intervalle des taillis, apparaît le désert. Et, tout contre l’oasis, s’est blottie une petite maison. Nous nous sommes arrêtés là un jour qui, paraît-il, était le jour anniversaire de la décollation de Saint Jean-Baptiste. Les paysans russes gardent scrupuleusement dans une parfaite oisiveté les si nombreuses fêtes de leur calendrier, que ce soit celle de l’Intercession de la Sainte-Vierge ou celle de la naissance de l’Impératrice. Un paysan très pâle, à la démarche lente et morne, se croit donc obligé d’errer autour du puits, sans rien faire que grignoter, d’un air accablé, des graines de tournesol. La maison est propre, c’est-à-dire que les murs et le poêle sont très blancs et qu’elle ne renferme guère que cela. Un petit enfant, non moins chétif que barbouillé, les traits pinces par la fièvre, se traîne sur le seuil ; dans une corbeille que des cordes suspendent au plafond, absolument nu sous une méchante couverture, un nouveau-né sommeille, gardé par une jeune femme, dont la beauté brune est soulignée par les broderies rouges de ses pauvres vêtemens, par la ceinture rouge passée autour de sa taille souple, par le mouchoir rouge noué sur ses cheveux noirs. Elle nous raconte avec une impassibilité singulière que sa belle-mère et ses trois petites filles sont mortes de la fièvre scarlatine dans cette même chambre où, bien entendu, aucune précaution sanitaire n’a été prise pour préserver les survivans.