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arbres. » Ces mots de Strabon pourraient sembler la traduction prosaïque de l’épithète odysséenne, u les arbres hauts comme le ciel. » Ces forêts mauritaniennes devinrent célèbres dans le monde romain par le diamètre énorme de leurs arbres : on en tirait des tables d’un seul morceau, dit Strabon. Parmi les navigateurs primitifs, ces forêts durent avoir une pareille renommée.

La seconde différence est beaucoup plus notable. Il ne semble pas que facilement une grande vigne ait pu couvrir la bouche de la caverne et trouver sa vie dans la vague ou les rochers de la crique. Mais les vignes de ces parages furent célèbres aussi durant l’antiquité : « Les Atlantes, les derniers des Libyens au pied de l’Atlas, ne sèment jamais ; les vignes sauvages fournissent à tous leurs besoins. » — « On dit que sur cette côte la vigne pousse des ceps que deux hommes ont peine à embrasser et des grappes qui ont une coudée de haut. » Le dernier promontoire africain du détroit, notre cap Spartel, était pour les Anciens le Cap des Vignes, Ampelousia... Mais reste la troisième différence entre Perejil et Kalypso : il n’y a pas trace, dans la caverne ni dans l’ile de Perejil, des quatre sources de l’Odyssée. Or cette différence, pour nous autres terriens, serait peut-être sans grande importance. À ces marins, toujours en quête d’eau douce, la présence ou l’absence de l’aiguade fait modifier les itinéraires, choisir ou abandonner les relâches. Si Perejil n’a pas de sources, la côte voisine en est abondamment pourvue. Les fontaines jaillissantes de Beliounesh restent célèbres parmi toutes les marines, et les Instructions signalent dans la passe même de Perejil, sur la façade orientale de la Pointe Leona, de bonnes aiguades, « n’était l’hostilité des Rifains. » Le géographe arabe Edrisi signale aussi les sources abondantes de la côte espagnole : « Djebel Tarik (Gibraltar) est isolé à sa base. Du côté de la mer est une vaste caverne d’où découlent des sources d’eau vive. Près de là, est un port dit Mers-d-Chadjra, c’est-à-dire le Port aux Arbres. »

On voit comment ce texte d’Edrisi pourrait sembler une traduction du même périple que consulta le poète odysséen. Dans ces parages, la caverne aux sources existe donc réellement. Elle n’est pas une invention du poète homérique. Si elle n’est pas dans l’île même de Perejil, dans le royaume de Kalypso, elle est pourtant, comme les sources de Kalypso, dans un Port aux Arbres. En ce détail, nous pouvons constater, pour la première fois, un procédé que souvent par la suite nous rencontrerons