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ruines, dont les murs sont faits de pierres noix cimentées et grossièrement taillées : les Instructions nautiques anglaises veulent y voir des ruines de citernes portugaises. Nous rencontrons, dans un tas de débris, des tuiles de Marseille qui témoignent que récemment on a voulu installer ici un abri. Nous avons exploré le sommet et les pentes de l’île. Nous avons découvert quelques trous, grottes ou anfractuosités, de taille médiocre. Aucune ne peut être cette grotte des Palombes que signalent les Instructions. Aucune ne peut renfermer les 200 hommes dont elles nous parlent. Nous sommes assez déconfits de ce résultat. Nous ne pouvons descendre vers la façade méridionale de l’île qui regarde la côte marocaine : l’île n’offre à cette côte qu’une muraille droite. Nous ne pouvons descendre non plus vers la façade orientale qui regarde Gibraltar, à cause de la pente trop brusque. Nous revenons à notre embarcation sur la côte nord-occidentale et nous prenons le parti de faire tout le périple de l’île en canot, malgré la houle, en nous tenant aussi près que possible du rivage. La côte Sud, à pic, ne présente que des flancs dénudés. Mais la côte Est est plus accidentée. Une grande dépression sépare les deux blocs de l’île et cette dépression elle-même est découpée par deux criques étroites, deux sortes de fjords à pic où l’on ne peut entrer que par mer : ce sont les anses du Roi et de la Reine, disent les Instructions. Dans le fond de l’anse septentrionale, nous avions aperçu du sommet de l’île une excavation assez large. Mais d’en haut il n’était pas possible d’en atteindre la bouche qui s’ouvrait au ras de la vague, tout au bas de la muraille abrupte ; il nous avait été même impossible d’en voir l’ouverture réelle et d’en deviner la profondeur, parce que nous ne pouvions pas nous aventurer au flanc de cette paroi presque à pic.

Notre canot pénètre dans l’anse. Il faut prendre quelques précautions. La mer est calme, mais la passe est semée de roches. C’est un fjord pittoresque aux parois abruptes, aux eaux très claires et d’une merveilleuse transparence. Le fond, par quelques brasses, apparaît jonché de blocs multicolores, en éboulis, et tapissé d’algues calcaires, rouges et violettes. Au niveau de l’eau, tout le pourtour du fjord est revêtu de polypes d’un rouge écarlate très vif (cariophyllea) et la houle a poussé dans cet abri une multitude de petites méduses purpurines. Le beau décor et la jolie ornementation pour le séjour d’une déesse marine !

Au fond de la crique, voici la grotte. C’est d’abord une fente plus haute que large ; elle à une vingtaine de mètres en hauteur et seulement sept ou huit mètres de large. Puis c’est une grande caverne, dont on ne peut apprécier dès l’abord l’étendue, parce qu’elle se compose de deux salles qui ne sont pas sur le même axe. Elle ne parait donc au début que peu profonde ; mais, au bout de 10 mètres environ, elle fait brusquement un coude et l’on pénètre dans une autre salle qui a : 30 ou 40 mètres de long, et qui vraiment est une retraite spacieuse.

Le canot est arrivé à travers la brume et les roches jusqu’à la bouche de la caverne. Nous mettons pied à terre, sur les roches émergées, opération qui serait tout à fait impossible par grosse mer. Après avoir sauté de roches en roches, nous entrons dans la première salle. Le seuil est formé de gros rochers où la mer brise toujours, même par temps calme. La pente de blocs éboulés sort rapidement de l’eau. Ces blocs de calcaire couvrent le